Une chose m'humilie : la mémoire est souvent la qualité de la sottise ; elle appartient généralement aux esprits lourds, qu'elle rend plus pesants par le bagage dont elle les surcharge. Et néanmoins, sans la mémoire, que serions-nous ? Nous oublierions nos amitiés, nos amours, nos plaisirs, nos affaires ; le génie ne pourrait rassembler ses idées ; le coeur le plus affectueux perdrait sa tendresse, s'il ne se souvenait plus ; notre existence se réduirait aux moments successifs d'un présent qui s'écoule sans cesse ; il n'y aurait plus de passé. Ô misère de nous ! notre vie est si vaine qu'elle n'est qu'un reflet de notre mémoire.
Chateaubriand - Mémoires d'outre-tombe Première partie, Livre deuxième, chap.3
Que serions-nous sans la mémoire ? L’allongement de la vie nous montre, avec la multiplication des cas d’Alzheimer, que sans elle notre personnalité s’envole, et même notre conscience.
Mais en même temps, ne nous apitoyons-nous pas aussi sur ces vieux dont toute la vie actuelle se résume à raconter leur passé, au point qu’ils ne sont plus que la somme de leurs souvenirs ? Leur vie est si vaine qu'elle n'est qu'un reflet de leur mémoire…
Mais si Chateaubriand nous alarme, c’est parce qu’il nous dit : ce n’est pas seulement la vie des vieux qui est soumise à cette contradiction : c’est aussi la nôtre. C’est notre vie qui est vaine, c’est notre vie qui ne fait que refléter notre passé.
Alors, c’est vrai je noircis le tableau. Chateaubriand ne fait pas de la vie du jeune homme un reflet exact de la vie du vieillard impuissant. Mais il souligne du moins la part essentielle jouée par le souvenir dans le présent de chacun. Même le génie n’aurait sans la mémoire la durée nécessaire à l’envol de sa pensée.
Oui, que serions-nous sans la mémoire ? Et la mémoire, c’est la qualité de la sottise ; entendez, la qualité de celui qui n’est capable que de répéter, et jamais d’inventer.
Bref : il nous faut un peu d’humilité si nous voulons mesurer notre stature véritable.
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