Il [Sterne, dans son Voyage sentimental] raconte qu’il fit l'épreuve [des effets de la louange] sur trois personnes qui n'étaient pas sans mérite ; il commença par les écouter, ce qui est une flatterie très agréable ; ensuite il en redemanda ; et enfin il les reconnut supérieurs comme ils voulaient l'être, sans restriction […] Pour avoir été trois fois flatteur dans cette soirée, et impudemment flatteur, il se fit trois amis, trois vrais et fidèles amis, qui ne l'oublièrent jamais et lui rendirent mille services sans qu'il le demandât.
Alain – Propos (15 novembre 1907)
Donc, si vous voulez savoir comment vous faire des amis, voilà une recette cautionnée par la philosophie elle-même, en la personne d’Alain.
J’en vois qui pourtant ne sont pas d’accord :
- D’abord, il y a ceux qui disent que des amis tels que ces flatteurs, ils n’en veulent pas.
Les amis, les vrais, sont ceux qui n’hésitent pas à nous secouer sévèrement quand nous oublions la réalité. Ceux qui nous mettent le nez « dedans », quand nous nous mettons à rêver et que ça nous nuit.
Mais serions-nous à l’écoute de ces braves amis si d’abord ils ne nous avaient pas montré combien ils nous aimaient – non pas tels que nous sommes, mais tels que nous voudrions être ?
- Ensuite, on observera qu’on peut être ami de ceux qui nous flattent mais rien ne prouve qu’ils se considèrent eux-mêmes comme nos amis. Comment serait-on ami de ceux qu’on est entrain de gruger ?
On pourrait répondre que si ce n’est pas beau de flatter aussi bassement, il n’en reste pas moins que la sincérité ne nous aide sans doute pas à nous faire des amis. Ainsi, même Pascal écrivait : "Je mets en fait que si tous les hommes savaient ce qu’ils disent les uns des autres, il n’y aurait pas quatre amis dans le monde." (1).
--> Mais pour finir, nous dirons qu’une chose est de se faire des amis, une autre de les garder.
Et pour rester amis, il nous faut un peu plus qu’un élan spontané et peut-être provisoire.
Les grecs, spécialistes de l’amitié, pensaient que l’amitié était une relation à l’excellence et à la vertu, qu’elle soit chez les autres ou en soi-même. C’est ainsi qu’Aristote disait que l’homme de bien est ami de lui-même dans un combat perpétuel pour plus de vertu (2).
Mon ami est mon alter ego, tel je le traite, tel je me traite.
(1) Voir Post du 4 février 2006
(2) Aristote – Ethique à Eudème, VII, chapitre 6
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