Socrates disait, que les sages femmes en prenant ce métier de faire engendrer les autres, quittent le métier d'engendrer elles. Que lui par le titre de sage homme, que les Dieux lui avaient deferé, s'était aussi défait en son amour viril et mentale, de la faculté d'enfanter : se contentant d'aider et favoriser de son secours les engendrants : ouvrir leur nature ; graisser leurs conduits : faciliter l'issue de leur enfantement : juger d'icelui : le baptiser : le nourrir : le fortifier : l'emmaillotter, et circoncir : exerçant et maniant son engin [esprit], aux périls et fortunes d'autrui.
Montaigne – Apologie de Raymond Sebond (Essais, II – 12)
Voyez, à l’époque de Montaigne on croyait encore qu’un homme ne pouvant raisonnablement être sage-femme, devait être sage-homme. Socrate quand à lui devait se dire maïeuticien – et basta.
Ce qui nous importe, ce n’est pas ça ; c’est qu’il n’appartient pas à celui qui aide à l’enfantement d’enfanter lui-même. On le sait, Socrate prétendait interroger les autres non pour les mettre dans l’embarras mais par sincère désir d’acquérir la connaissance que ceux-là avaient, alors que lui ne l’avait pas.
Mais en réalité, il avait surtout pour but de faire venir au jour, formulé avec clarté la pensée qui se dissimulait sous des formules lapidaires, et c’est en ce sens qu’il se disait accoucheur des âmes. Aider les autres à trouver le savoir qu’on affirme ne pas posséder soi-même.
Peut-on aider les autres à faire ce qu’on ne sait pas faire soi-même ?
J’ai évoqué ici même (1) les thèses de Jacquotot, reprises par Jacques Rancière dans le Maître ignorant. Le père illettré peut apprendre à lire à son fils, car le rôle du maître est de faire-faire et non de faire lui-même.
Sans revenir sur cette thèse, je crois que la philosophie (que j’ai fait profession d’enseigner) renvoie d’une certaine façon à cette pratique : il ne s’agit pas de penser pour l’élève, mais de faire penser l’élève. Telle est la philosophie dont on a l’ambition de faire l’enseignement en France (2).
Je voudrais donc souligner que penser et donner à penser ce n’est pas tout à fait la même chose, et même si l’on ne peut donner à penser sans penser soi-même, il n’en reste pas moins que ce n’est pas en disant « voilà ce que je pense » qu’on pourra faire produire de la pensée.
En ce sens Socrate était bien le modèle de l’enseignant de philosophie, même si ça a mal tourné pour lui.
(1) Citation du 20 mars2007
(2) À la différence des pays où on enseigne essentiellement les doctrines philosophiques (histoire de la philosophie)
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