Frontières. En géographie politique, ligne imaginaire entre deux nations, séparant les droits imaginaires de l'une des droits imaginaires de l'autre.
Ambrose Bierce – Le dictionnaire du Diable
S’il est une notion dont le destin est actuellement très surprenant, c’est bien celle de frontière.
A l’époque de la mondialisation, où précisément ni les informations, ni les produits industriels, ni la pollution engendrée ne connaissent de frontière, on voit néanmoins les États renforcer les leurs en construisant des murs, reconduire à leur frontière les sans-papiers, mettre à contribution tous les dispositifs sophistiqués de surveillance pour contrôler les entrée sur leur territoire. Car s’il n’y a plus de frontières il y a encore des territoires. Comprenne qui pourra.
Qu’est-ce donc aujourd’hui qu’une frontière ? Une ligne imaginaire entre deux nations ? Ce qui établit une démarcation entre des droits imaginaires ?
Qui donc admettra pareille définition, même en pensant qu’imaginaire signifie ici arbitraire ou conventionnel ? Non, nous on en veut plus. On veut que, comme du temps des Grecs, la frontière marque la limite entre la civilisation et la barbarie, entre les autochtones et ceux qui (en raison de la couleur de leur peau ou de leur accent) ne paraissent pas être comme nous. La frontière, c’est aussi ce qui démarque entre amis et ennemis – mieux : c’est par la frontière que nous sommes amis entre nous, parce que c’est grâce à elle que nous savons où sont nos ennemis.
On l’a déjà compris : la frontière et l’identité nationale, ça ne fait qu’un. Pour que la première existe, il faut que la seconde soit identifiée. Le tracé de la frontière suit les méandres de la civilisation « nationale ». Voyez les Suisses : ils viennent de découvrir que les minarets ne pouvaient pousser sur leur territoire.
- Dehors les minarets !
Oui, mais si on leur dit : les minarets ne sont qu’un symbole, ce que vous visez, c’est l’Islam.
- Dehors l’Islam !
Et si on dit : oui, mais l’Islam est-il quelque chose s’il n’y a pas de pratiquants ?
- Dehors les musulmans !
Sans identité nationale, on n’a rien à garder : pas besoin de garde frontière.
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