Je crois que l'automobile est un équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques : je veux dire une grande création d’époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique.
Roland Barthes – Mythologies
Le petit texte que je cite ici est le début de la Mythologie consacré à la D.S. (La nouvelle Citroën), et on comprend bien grâce à la comparaison avec la cathédrale gothique, que l’image de la voiture en 1955 était beaucoup plus fortement valorisée qu’aujourd’hui. Mais il n’en reste pas moins que ce qu’on voit de nos jours soit un peu surprenant.
La crise aidant – crise financière, pétrolière et environnementale – l’image de la voiture change profondément. Mais jusqu’à quel point ? Est-elle toujours comme le dit Barthes consommée dans son image ?
Petit retour en arrière : dans les années 50-60, la taille de la voiture était directement proportionnelle à l’importance sociale du monsieur qui la conduisait, et quand plusieurs modèles de la marque étaient à peu près identiques, le plus cher se signalait par des chromes plus ostensibles. C’est ce qu’on appelait alors la hiérarchie des chromes. Changer sa voiture pour une plus grande, c’était évidemment un signe de prestige social fort. Au fond, la voiture était un peu comme la qualité du vêtement, quelque chose qui ne servait pas seulement à sa fonction première, mais aussi à signaler aux autres quel était son rang.
Et aujourd’hui ? Regardez autour de vous quand vous êtes sur l’autoroute ou dans des embouteillages urbains. Voyez combien toutes ces voitures se ressemblent, combien la modicité de leurs dimension, la banalité de leurs accessoires, les mettent sur un pied d’égalité. Quelle différence entre le manager et l’opérateur ? Et entre le cadre A et le cadre C ? La voiture est désormais quelque chose qui sert seulement à se déplacer.
Pour reprendre la métaphore avec le vêtement, on dira que de même que le jean est un vêtement utile mais qui n’apporte aucun indice marquant l’origine sociale de celui qui le porte, la voiture est désormais quelque chose qui sert seulement à se déplacer – en émettant le moins de CO2 possible. C’est un objet « trans-hiérarchique ».
Bref : la voiture n’est plus la cathédrale gothique de la route. C’est le Lévi-Strauss de la route.
No comments:
Post a Comment