Un philosophe peut-il véritablement, avec bonne conscience, s'engager à avoir tous les jours quelque chose à enseigner ?
Nietzsche, /Considérations inactuelles/ III, § 8.
Nietzsche poursuit : « Et si d'aventure un jour il avait ce sentiment : aujourd'hui, je ne peux rien penser, rien d'intelligent ne me vient à l'esprit - il lui faudrait malgré tout prendre place et faire semblant de penser ! »
Il ne s’agit pas de se lamenter sur la condition du philosophe devenu par les vicissitudes de l’existence prof de philo. Mais je crois qu’on peut relever deux choses étonnantes :
- D’abord, pourquoi ce professeur improvise-t-il son cours devant ses élèves ? Il n’a qu’à apprendre par cœur son exposé, le réciter et s’arrêter pour donner des éclaircissements quand il y a des questions dans la classe.
- Ensuite, que penser du prof qui se sert de ce texte pour présenter son cours à ses élèves en début d’année (1)?
Ces deux questions se ramènent à une seule : comment peut-on enseigner non pas la pensée, mais à penser ?
Question redoutable. On peut néanmoins tenter une réponse : on ne peut enseigner à penser qu’à condition de penser soi-même - et c’est bien ce que dit Nietzsche. Ce qui veut dire qu’on s’engage à fabriquer son discours sur place, à main nue, en prenant le risque de se tromper. Les matheux me comprendront : s’ils font le corrigé d’un exercice au tableau, en le récitant sans comprendre ce qu’ils disent, personne ne les comprendra. Il faut bien qu’ils refassent leur démonstration, qu’ils la repensent qu’ils refassent le chemin déjà fait comme si c’était la première fois. C’est là précisément là que l’humain est irremplaçable.
Naguère un « ministre » de l’éducation nationale disait que les profs avaient peur parce qu’ils se sentaient menacés par la machine-Internet. Tant qu’il y aura des élèves pour qui il sera utile qu’un prof leur dise : « je vais re-fabriquer mon cours devant vous, et secouez moi si ça ne vient pas », alors la machine à enseigner sera une fiction.
(1) Si j’en parle c’est parce que ça existe.
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