Un homme qui enseigne peut devenir aisément opiniâtre (1), parce qu'il fait le métier de quelqu'un qui n'a jamais tort.
MONTESQUIEU
J’ai horreur des gens qui n’ont jamais tort, ou plutôt qui se posent comme n’ayant jamais tort. Certes, c’est le cas de tout le monde : dès qu’on ouvre la bouche, chacun estime avoir raison, sinon on se tairait. Mais, étant donné que la vie nous rabaisse dans nos prétentions, ce travers disparaît assez vite…sauf chez les certains profs ! Et Montesquieu le dit fort clairement : c’est leur métier d’avoir raison.
Qu’est-ce que ça vous dit ça ? Qui donc peut avoir raison, en quelque sorte statutairement ? A mon sens, seuls les juges ont ce pouvoir, hérité des « maîtres de vérité » de l’antiquité (2). Dans ce cas, la vérité n’est pas rationnelle : elle est le fruit d’un pouvoir particulier, l’expression d’un charisme. C’est pour cette raison que la vérité judiciaire ne peut être critiquée. Mais quid de l’enseignant ? Quel est son charisme particulier ? D’où lui viendrait ce pouvoir ? Et surtout la vérité qu’il est sensé transmettre à ses élèves peut-elle se décréter ?
Une anecdote avant d’aller plus loin, qui concerne Louis XV enfant (il est monté sur le trône à 5 ans). On raconte (qui ? J’ai oublié…) que son précepteur (l’abbé Perot) s’efforce de lui faire comprendre la démonstration d’un théorème d’Euclide. Le jeune roi n’y comprend rien, malgré les efforts de son professeur. A bout d’argument, celui-ci s’exclame : « Sire je vous donne ma parole que ce théorème est exact ! » « Que n’avez-vous commencé par là, Monsieur », répond l’enfant.
Voilà la vérité décrétée, la vérité qui est l’effet d’un pouvoir de l’enseignant, la vérité qui dispense de réfléchir, et qui laisse l’élève dans la dépendance de son professeur au quel il lui faudra toujours demander ce qu’il faut penser.
Il y a une complicité prof-élèves : les premiers pérorent devant des élèves qui n’y comprennent rien, mais qui ne demandent surtout pas d’explication parce qu’ils sont comme le jeune Louis XV ; les profs ne veulent surtout pas le savoir, parce qu’il faudrait inventer le moyen de se faire comprendre.
La suite à demain
(1) opiniâtre : se dit de quelqu’un qui tient avec entêtement à ses opinions.
(2) Voir à ce sujet Marcel Detienne, Les Maîtres de vérité dans la Grèce archaïque
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