Qu'est-ce que le moi ?
Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants, si je passe par là, puis-je dire qu'il s'est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier. […]
Où est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps, ni dans l'âme ? et comment aimer le corps ou l'âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont périssables ?
Pascal –. Pensées. B. 323
Où est le véritable moi ? En janvier sur le trottoir ? Penché sur le balcon en juin ? Suis-je ici, suis-je là ? Peut-être le vrai moi n'est-il ni celui-ci ni celui-là, ni ici ni là, mais quelque chose de si divers, de si fluctuant, que c'est aux seuls moments où nous lâchons la bride à nos désirs et les laissons naviguer à leur guise que nous sommes en vérité nous-mêmes.
Virginia WOOLF - Au hasard des rues. (La mort de la phalène - p. 134)(1)
Une même question : qu’est-ce que le moi ?
Un même constat : le moi – ce moi-même que je suis – est un agrégat fluctuant de qualités, de caractéristiques, qui peuvent apparaître, disparaître, venir au premier plan ou s’effacer, sans que je cesse d’être « moi-même ».
Deux réponses :
- Pascal : en vérité le moi n’est rien, c’est de la fumée aux yeux qui trompe et pour la quelle notre orgueil se bat vainement. La vérité de mon être, c’est mon âme, que je ne connais qu’en passant par l’adoration de Dieu, son véritable Auteur.
- Virginia Woolf : le moi c’est précisément ce changement perpétuel, cette rhapsodie (2) de traits et de caractères changeants, ce kaléidoscope de désirs et de tendances.
Une nouvelle question : comment être soi-même ?
- Pascal : on n’est soi-même que dans la prière et par la foi qui nous permet de coïncider avec notre âme immortelle.
- V. Woolf : c’est en lâchant la bride à nos désirs et en les laissant naviguer.
Non pas pour accomplir ce vers quoi nous nous sentons attirés.
Mais parce que cette absence de continuité des désirs est la vérité du non-sujet que nous sommes.
Il me semble que Deleuze et Guattari ont dit quelque chose qui ressemble à ça, mais bien plus tard.
(1) Suite du texte :
Mais quelle absurdité! Il est en fait près de six heures, un soir d'hiver ; nous allons vers le Strand pour acheter un crayon. Comment se trouver en même temps au mois de juin toute emperlée sur un balcon ? Quelle absurdité! Folie de la nature, pas la nôtre. Quand elle entreprit son grand chef-d'oeuvre - la création de l'homme - elle n'aurait dû songer qu'à une chose. Mais non ; tournant la tête, regardant par-dessus son épaule, elle permit qu'en chacun de nous s'insinuent des instincts, des appétits en complet désaccord avec notre être, si bien que nous sommes zébrés, bariolés, barbouillés ; les teintes ont coulé. Où est le véritable moi ? En janvier sur le trottoir ? Penché sur le balcon en juin ? Suis-je ici, suis-je là ? Peut-être le vrai moi n'est-il ni celui-ci ni celui-là, ni ici ni là, mais quelque chose de si divers, de si fluctuant, que c'est aux seuls moments où nous lâchons la bride à nos désirs et les laissons naviguer à leur guise que nous sommes en vérité nous-mêmes. Les circonstances contraignent à l'unité ; il convient que l'homme soit un tout. Rentrant chez lui le soir, le bon citoyen se doit d'être banquier, golfeur, époux, père et non pas un nomade errant dans le désert, un mystique perdu dans la contemplation du ciel, un débauché hantant les bouges de San
Virginia WOOLF - Au hasard des rues. (La mort de la phalène - p. 134)
(2) Rhapsodie : Ouvrage en vers ou en prose fait de morceaux divers, mal liés entre eux. Le mot pris dans ce sens est chez Kant.
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