L'évolution ne tire pas ses nouveautés du néant. Elle travaille sur ce qui existe déjà, soit qu'elle transforme un système ancien pour lui donner une fonction nouvelle, soit qu'elle combine plusieurs systèmes pour en échafauder un autre plus complexe. Le processus de sélection naturelle ne ressemble à aucun aspect du comportement humain. Mais si l'on veut jouer avec une comparaison, il faut dire que la sélection naturelle opère à la manière non d'un ingénieur, mais d'un bricoleur ; un bricoleur qui ne sait pas encore ce qu'il va produire, mais récupère tout ce qui lui tombe sous la main, les objets les plus hétéroclites, bouts de ficelle, morceaux de bois, vieux cartons pouvant éventuellement lui fournir des matériaux ; bref, un bricoleur qui profite de ce qu'il trouve autour de lui pour en tirer quelque objet utilisable.
François Jacob – Le jeu des possibles (1981)
Dans le débat qui oppose les évolutionnistes aux créationnistes, et qui se poursuit en ce moment de célébration d’anniversaire de Darwin il y a eu bien de … l’évolution aussi.
Quand on est évolutionniste (quoique ce mot paraisse désuet pour décrire l’état de la science de l’évolution aujourd’hui), on sait qu’on n’a pas à s’opposer aux fous furieux qui affirment que la Genèse contient l’exact récit de la création des espèces.
Et en effet, tout le monde le dit – y compris la plupart des religieux traditionalistes : l’évolution des espèces est une évidence, attestée par les avancées de la génétique et la découverte de l’ADN.
Par contre la thèse de la sélection naturelle opérant sur des mutations aléatoires passe moins bien : les mêmes religieux veulent y voir l’effet du dessein intelligent (intelligent design) et du coup c’est le statut privilégiée de l’espèce humaine qui est sauvé. (1)
Cette théorie du dessein intelligent ne satisfait personne : ni les religieux intégristes qui placent le dogme au-dessus de tout ; ni les scientifiques qui n’apprécient pas qu’on leur dise : « Je ne cherche pas à démontrer la validité de mes hypothèses ; c’est à vous de démontrer qu’elles sont fausses. »
Je ne suis pas plus savant que les savants, et je ne vais pas donner la leçon à quiconque. Par contre, si 150 ans après la publication de l’Origine des espèces le débat n’est pas clos, c’est qu’il y a encore des progrès scientifiques à accomplir. Au fond, je crois que l’avancée de la biologie, et de la génétique, si extraordinaires au cours des 50 dernières années, n’est pas terminé, en ce sens les tests de réfutation (Popper) de l’évolution ne sont pas encore clairement définis. Rappelons que selon Popper, ces tests sont des expériences dont on admet que si elles échouent alors la théorie qu’elles devaient vérifiée est fausse.
Bien sûr, on sait qu’en réalité, les choses ne se passent presque jamais d’une façon aussi simple, et l’abandon d’une théorie contredite par les faits ne se réalise qu’en présence d’une autre théorie – également vérifiable (2). Mais tout de même on ne comprend pas tout à fait pourquoi certaines espèces franchissent des durées de centaines de millions d’années sans évoluer, et comment des évolutions essentielles apparaissent par petites touches, chacune séparée des autres ne représentant pas un avantage décisif pour l’espèce.
(1) Je me souviens qu’à la Sorbonne, mon prof de philosophie des sciences (Claude Tresmontant), disait qu’expliquer l’apparition de la vie et de la conscience par le hasard des mutations c’était comme supposer qu’un singe tapant sur une machine à écrire arriverait un jour à produire l’Iliade et l’Odyssée.
(2) Voir là-dessus la conférence d’Angèle Krémer Marietti
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