Monday, August 10, 2009

Citation du 11 août 2009

Le grand art, c'est toujours de l'érotisme camouflé.

Jacques de Bourbon Busset – Journal

Le grand art, c'est … de l'érotisme camouflé : bien vu ! Et je dirai même : plus l’érotisme est camouflé, plus l’art est grand.

L’érotisme, c’est dans la surprise qu’il se trouve, dans le regard qui attrape à la dérobée ce qu’il n’aurait pas du voir – dans le vêtement qui baille, dans la porte entrouverte de la salle de bain – et donc aussi dans le détail qui se glisse subrepticement dans le tableau.

En voici un exemple :


Il s’agit du tableau du Tintoret : Mars et Vénus surpris par Vulcain, et de l’analyse qui en est faite par Daniel Arasse (1).

Vous connaissez l’histoire : Vénus est l’épouse de Vulcain, le dieu forgeron boiteux. Vénus le cocufie avec le beau dieu Mars, dont elle a un rejeton, Cupidon.

Selon la mythologie, Vulcain forge un filet d’acier très fin avec le quel il piège les amants sur leur couche, et puis il fait défiler les Dieux de l’Olympe devant les coupables. Seulement c’est de lui qu’on se moque : Vulcain, le Dieu cocu…

Voici maintenant ce qu’en fait le Tintoret : pendant que le petit Cupidon dort dans son berceau, Vulcain arrive et surprend Vénus nue sur son lit, alors que Mars se cache sous la table et que le petit chien aboie, signalant ainsi sa présence : une scène de vaudeville ? (2)

… Pourtant Vulcain ne semble pas dans cette action-là : il parait être entrain d’achever de dénuder son épouse et son regard darde vers son sexe.

Mais ce n’est pas encore ça la surprise : voyez le miroir rond qui est appuyé contre la fenêtre au fond de la pièce (3). Que nous montre ce miroir ? Logiquement, vu sa position, il devrait nous montrer Vénus et Vulcain, vus à contre champ.

Or, que voit-on ? Vulcain, au lieu d’avoir un seul genou posé sur le lit est carrément à deux genoux dessus, penché sur le corps qu’on devine ouvert de Vénus.

--> Conclusion : ce miroir nous montre ce qui va se passer dans un instant : Vulcain n’est pas du tout entrain de découvrir son infortune, mais il est entrain de monter sur le lit, il s’apprête à prendre la place laissée vacante par Mars. Ce que nous donne à voir le miroir, c’est l'assaut donné à la déesse de l’amour par son époux .

Si le grand art réserve son érotisme au regard inquisiteur des petits malins, disons que là, c’est du grand art, en effet.


(1) Daniel Arasse – On n’y voit rien (Descriptions) – Chapitre 1 (Folio-essais, p.11-17)

(2) On peut voir ici une représentation beaucoup plus conventionnelle de la même scène peinte par Vigée Le Brun

(3) Certains interprètes ont voulu y voir un bouclier : admettons ; reste que ce bouclier aurait une surface polie reflètant la scène qui se déroule dans la pièce

2 comments:

Luc Dussart said...

Oh ! Je sens que je vais jouïr !
Super analyse.

Guy W said...

Comme le sous-entend peut-être Luc (et ne l'écrit pas Arasse dans son analyse) la première propriété/fonction d'un miroir est de nous montrer (notre reflet) à nous-mêmes.
Ceci juste en complément de votre texte et de l'analyse oh combien pertinente du maître