Chacun de nous est une lune, avec une face cachée que personne ne voit.
Mark Twain – En suivant l'équateur
Belle image, mais encore incomplète.
1 - On peut aisément admettre que nous sommes comme la Lune, toujours vus sous le même angle, avec une partie de nous-mêmes que personne ne voit.
Mais quand on dit « personne », il faut entendre : pas même nous. Toutefois, comme cette face cachée ne peut être une partie de mon corps – mon dos par exemple que je n’aperçois pas mais que mon voisin voit fort bien, il s’agit forcément de notre intériorité, entendez : notre conscience. Il y a une source obscure de notre conscience que notre conscience elle-même ne peut appréhender, et que personne ne peut observer, sauf à dire qu’on en perçoit les effets – je veux dire : les pensées.
2 – Il faut donc ajouter que cette face obscure agit sur la face éclairée, qu’elle la forme ou la transforme (ce qui la différencie de la face éclairée de la Lune qu’on a fort bien connue avant même d’en faire le tour).
Evitons la mortification consistant à déplorer que, sous le couvert de ce qui est caché, se trouve tout ce qui nous fait honte, tout ce que nous n’oserions pas exhiber devant les autres, comme Adam qui se cache parce qu’il est nu. Non : la face cachée de notre être est simplement ce qui est au centre, ou plutôt à l’origine de notre conscience, que même la conscience, par définition consciente d’elle-même, ne peut pourtant pas appréhender. Comme la tache aveugle de la rétine est au centre de la rétine, là où se concentre un maximum de cellules assurant la vision, la conscience est une source jaillissante d’états de représentations et de pensées – source qu’il ne nous est pas donné de percevoir, encore moins de « gérer ».
Ainsi, si la conscience peut se ressaisir elle-même, se représenter à elle-même, c’est toujours telle qu’elle était dans l’instant qui précède. Il ne lui est pas donné de se saisir dans l’instant même où la pensée jaillit hors de cette source mystérieuse. Car si une telle chose était possible, plus rien d'irrémédiablement obscur ne subsisterait en nous. Nous alors pourrions nous observer, comme on observe un phénomène physique se déroulant hors de nous.
C’est ce qu’Auguste Comte résumait ainsi : on ne peut pas être à la fenêtre et se voir passer dans la rue.
No comments:
Post a Comment