Émanciper la femme, c'est excellent ; mais il faudrait avant tout lui enseigner l'usage de la liberté.
Emile Zola – Chroniques
…avant de libérer les femmes, il faut leur apprendre à user correctement de leur liberté. Voilà que Zola se met à philosopher ? Parce qu’on on a envie de mettre la réponse de Kant en face de cette l’affirmation. Car c’est Kant qui affirmait : on ne peut mûrir pour la liberté qu’à la condition préalable d’être placé dans cette liberté (1).
Passons… Je ne voudrais pour aujourd’hui que retenir cette observation : un penseur comme Zola illustre fort bien la méfiance de son siècle (et un peu du suivant) à l’égard des femmes, et cela jusque dans les couches les plus progressistes de la société. Car ce n’est pas – ou pas seulement – dans les milieux les plus religieux ou bourgeois qu’on refuse aux femmes leur émancipation par rapport à l’autorité des hommes.
Si nous laissons de côté les balivernes moyenâgeuses sur l’incapacité des femmes à dominer leurs instincts et leur puérilité, il reste tout de même qu’on a craint fort longtemps qu’elles ne sachent pas gérer leur fortune et qu’elles soient incapables de comprendre l’action politique – entendez qu’on ne les croyait pas capables d’user correctement du droit de vote.
En fait les socialistes eux-mêmes se sont opposés à l’instauration d’un suffrage universel, donnant le droit de vote aux femmes. C’est qu’ils supposaient qu’elles ne sauraient faire usage de leur liberté pour voter selon leurs intérêts (c'est-à-dire ceux de leur classe) et qu’elles voteraient selon les ordres du curé. En réalité on ne voulait pas émanciper les femmes ; on voulait seulement qu’elles changent de maître.
Aujourd’hui que les femmes réclament non plus leur émancipation, mais l’égalité avec les hommes, il est bon de prendre conscience de la nature des résistances qu’il leur a fallu vaincre (avec les suffragettes par exemple). Histoire de vérifier qu’il n’en reste vraiment plus aujourd’hui.
(1) C’est votre jour de chance : j’ai décidé de vous offrir le texte entier :
« J'avoue que je ne puis me faire à ces façons de parler dont se servent même des gens fort sages : "Tel peuple" (en train d'élaborer sa liberté et ses lois) "n'est pas mûr pour la liberté" ; "les serfs de tel grand seigneur ne sont pas encore mûrs pour la liberté"; "les hommes, d'une manière générale, ne sont pas encore mûrs pour la liberté de croyance". Mais dans cette hypothèse, la liberté n'arrivera jamais, car on ne peut mûrir pour la liberté qu'à la condition préalable d'être placé dans cette liberté ; il faut être libre afin de pouvoir user comme il convient de ses facultés dans la liberté. Il est certain que les premiers essais seront grossiers et qu'ordinairement même ils se relieront à un état de choses plus pénible et plus dangereux que celui où l'on vit sous les ordres d'autrui, mais aussi sous sa prévoyance ; seulement, on ne peut mûrir pour la raison que par des essais personnels. » Kant – La religion dans les limites de la simple raison
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