L'ironie est la mort de la métaphysique.
Emil Cioran – Carnets 1957-1972 (5 novembre 1960 p.759)
L'ironiste fait semblant de jouer le jeu de son ennemi, parle son langage, rit bruyamment de ses bons mots, surenchérit en toute occasion sur sa sagesse soufflée, ses ridicules et ses manies. Voilà décidément le grand art et la suprême liberté, la plus intelligente, la plus diabolique, la plus téméraire aussi. La conscience ironique dit non à son propre idéal, puis nie cette négation. Deux négations s'annulent, disent les grammaires : mais - ce que les grammaires ne nous disent pas - l'affirmation ainsi obtenue rend un tout autre son que celle qui s'installe du premier coup, sans passer par le purgatoire de l'antithèse. La ligne droite n'est pas si courte que cela et le temps perdu est quelquefois le mieux employé.
Vladimir Jankélévitch – L'ironie (p.76)
Beaucoup comme Cioran ont fait les dégoûtés devant l’ironie : les ironistes seraient des gens qui fuient leur responsabilité en cassant tout sans rien construire, des nihilistes, des asociaux – c’est déjà les reproches que s’attirait Socrate, le premier ironiste connu.
Ceux qui ont défendu l’ironie au nom de la liberté de penser – c’est-à-dire de la liberté de refuser de croire et de plier l’échine devant l’autorité du vrai n’ont semble-t-il répondu qu’à moitié : ils ont fait de l’ironiste un sceptique, et voilà tout (1).
Jankélévitch attire notre attention sur un point qu’on oublie souvent : l’ironie n’est qu’un moment dans le processus de la pensée. Elle est le moment du doute dont elle est un instrument, un moyen de mettre à distance l’évidence qui n’est jamais l’oméga du savoir.
Rectifions : l’évidence n’est jamais l’alpha du savoir, mais elle en est bien l’oméga.
Et entre l’alpha et l’oméga, qu’y a-t-il ? L’ironie parbleu !
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(1) D’ailleurs, c’est peut-être le sens de la remarque de Cioran ; pourquoi pas ? Ça ne change pas grand-chose en tout cas à ce qui suit.
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