Dieu se rit de ceux qui déplorent les conséquences de faits dont ils chérissent les causes.
Bossuet, cité par Pierre Rosanvallon (interview dans Libération 27 aout 2011)
Rosanvallon appelle ceci « le paradoxe de Bossuet » : dans l’article cité il ne l’explique pas, il l’applique à notre époque.
Dieu rit-il encore de nous ? Je ne sais, mais il le pourrait bien ; c’est en tout cas ce que suppose Rosanvallon qui ajoute : nous faisons aujourd’hui exactement ce que critique Bossuet lorsque, dénonçant les inégalités sociales, nous acceptons pourtant les mécanismes qui les produisent. Moyennant quoi nous ne faisons pas porter nos critiques sur les causes de ces inégalités (exemple : des salaires non justifiés par le mérite), et donc nous ne faisons rien pour changer la situation (voire même nous l’acceptons dans certains cas – après avoir crié contre le salaire des PDG nous acceptons celui des stars du foot).
Que faut-il faire pour que Dieu ne rie plus de nous ?
Supposons que, comme le dit Bossuet, nous chérissions le jeu social qui génère des inégalités.
Soit – Reste qu’au jeu de l’inégalité sociale, les dés sont pipés : tous les joueurs n’ont pas les mêmes chances avant de commencer la partie. De fait tout se passe comme si nous acceptions les règles du jeu à condition d’être sûr d’y gagner. C’est le cas de la bourgeoisie qui sait que les inégalités sociales ayant tendance à se reproduire, ses enfants ont toutes les chances d’être propulsés vers le haut de l’échelle.
C’est ça qui fait que les jeunes n’ont pas tous les mêmes chances d’accéder aux emplois ; que les femmes n’ont pas les mêmes salaires que les hommes, etc.
C’est ça que nous ne devons pas l’accepter.
Maintenant, reste à savoir si nous aurions raison d’accepter ces règles – une fois corrigées ?
Ce qu’on nous dit, c’est que les inégalités sont finalement favorables à tous, et que les plus pauvres des pays riches – même inégalitaires – ont un meilleur destin que celui que leur offrirait un pays égalitaire.
Sauf que des pays comme ça restent à inventer.
2 comments:
Un mot tout de même sur les inégalités sociales à l'école. J'ai souvent tendance à penser (mais vous pouvez me corriger) qu'elles constituent surtout une inégalité de moyens (moyens de travail, moyens intellectuels (le fameux milieu culturel favorisé/défavorisé), familiarisation avec le milieu scolaire, ses règles explicites et implicites). J'entends par là que le fait d'être issu d'un milieu social bourgeois ne donne pas de droit l'accès aux hautes fonctions : un jeune favorisé qui ne ficherait strictement rien à l'école et ne fournirait jamais aucun effort n'aurait aucune chance de décrocher une école de commerce ou d'ingénieur. S'il y parvient, c'est parce que son milieu d'origine lui en donne les moyens, mais encore faut-il qu'il s'en serve. Inversement bien sûr, celui qui vient d'un milieu social défavorisé n'a pas les mêmes moyens, ni surtout la même mentalité (intégration de l'échec comme destinée sociale, inégalités culturelles etc.).
« le fait d'être issu d'un milieu social bourgeois ne donne pas de droit l'accès aux hautes fonctions »
Tout à fait d’accord, et les défenseurs du système éducatif libéral insistent même là-dessus : que les petits bourgeois qui d’aventure seraient des crétins et/ou des paresseux soient éliminés par le système éducatif.
Reste que la proportion d’enfants du peuple (on disait autrefois : les fils d’ouvriers) accédant à des études avancées reste très faible. Bourdieu en a tiré sa thèse exposée dans Les héritiers.
« celui qui vient d'un milieu social défavorisé n'a pas les mêmes moyens, ni surtout la même mentalité (intégration de l'échec comme destinée sociale, inégalités culturelles etc.). »
Oui, c’est exactement cela qui arrive : voyez le livre de Didier Eribon « Retour à Reims », où est faite une étude très fine et en plus vécue de la situation du fils d’ouvrier confronté à des études longues.
--> Eribon dit même que dans sa volonté d’échapper à sa classe sociale, la porte de sortie qu’il a trouvée était de faire des études de philo – à la Sorbonne. C’est cette porte qu’il a prise, sous les ricanements de ses camarades … et de sa famille.
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