Platon
– Cratyle 385e (1)
L’homme
est la mesure de toutes choses : parmi
les citations venues de l’Antiquité, celle-ci est l’une des plus répandue, sans
pour autant qu’on se rappelle exactement qu’elle signifiait :
-
D’abord que l’homme dont on parle est l’individu quelconque ;
-
Que la mesure dont on parle est la sensation ;
-
Que du coup c’est celle-ci qui est la source de la connaissance et par là de la
vérité.
C’est dans le Théétète que Socrate opère la critique de cette théorie : la
critique de fond consiste à rappeler le principe de contradiction qui stipule
que rien ne peut, en même temps et sous le même rapport, être une chose et son
contraire. Or si je dis : « ce
vent est froid, parce que je le ressens tel » c’est aussi vrai que si
une autre personne dit en même temps : « Selon moi, ce vent est tiède parce que je le ressens tiède » :
cela signifie bien que le même vent
serait à la fois froid et tiède.
Mais le reproche qui vient en premier dans
le Théétète de Platon (2) est un
reproche politique. On y trouve Socrate, reprochant à Protagoras d’être un
démagogue qui flatte le peuple en lui donnant à croire que les sensations du
plus ignare des hommes sont des sources de vérité beaucoup plus valables que
celles qui jaillissent des discours des plus savants (y compris de Protagoras
lui- même !). Non seulement la philosophie et son argumentation sont
stérilisées, mais encore la démocratie considérée comme le lieu où s’épanouit
l’opinion de chacun apparait comme l’occasion de déchirement puisque si chacun
a raison, alors l’anarchie régnera – à moins qu’un démagogue ne vienne persuader
artificieusement que tous pensent en réalité comme lui.
Il faudra attendre le 18ème
siècle – siècle des Lumières – pour admettre que la vérité soit ce sur quoi on
est tous tombés d’accord. Et encore : il y a des conditions pour y
parvenir, la vérité dont il s’agit ne relève pas d’un surgissement originaire :
elle opère dans le domaine politique et elle dépend d’un choix de
valeurs.
Comme dit Rousseau, avant de voter pour
dire ce qu’on veut, il faut d’abord qu’on se soit constitué comme peuple –
c’est à dire comme unis par des valeurs
communes (3).
o-o-o
Ce chemin peut aussi être fait en sens
inverse : un peuple peut se défaire quand plus personne n’est d’accord avec
les valeurs de son voisin.
N’est-ce pas ce qui risque de nous
arriver ?
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(1) Voici le passage complet dans une
traduction un peu différente : « Voyons, Hermogène, penses-tu aussi que les êtres n'aient qu'une
existence relative à l'individu qui les considère, suivant la proposition de
Protagoras, que l'homme est la mesure de toutes choses ; de sorte que les
objets ne soient pour toi et pour moi que ce qu'ils nous paraissent à chacun de
nous individuellement ; ou bien te semble-t-il qu'ils aient en eux-mêmes une
certaine réalité fixe et permanente? » Voir ici (avec le texte grec)
(2) Voir ici cet extrait du Théétète.
(3) C'est par exemple la difficulté rencontrée à propos du peuple ukrainien : un seul peuple ou bien deux peuples ?
(3) C'est par exemple la difficulté rencontrée à propos du peuple ukrainien : un seul peuple ou bien deux peuples ?
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