Monday, May 12, 2014

Citation du 13 mai 2014

Protagoras affirme que l'homme est la mesure de toutes choses : « Telles les choses me paraissent, telles elles sont pour moi ; telles elles te paraissent, telles elles sont pour toi. »
Platon – Cratyle 385e (1)
L’homme est la mesure de toutes choses : parmi les citations venues de l’Antiquité, celle-ci est l’une des plus répandue, sans pour autant qu’on se rappelle exactement qu’elle signifiait :
            - D’abord que l’homme dont on parle est l’individu quelconque ;
            - Que la mesure dont on parle est la sensation ;
            - Que du coup c’est celle-ci qui est la source de la connaissance et par là de la vérité.
C’est dans le Théétète que Socrate opère la critique de cette théorie : la critique de fond consiste à rappeler le principe de contradiction qui stipule que rien ne peut, en même temps et sous le même rapport, être une chose et son contraire. Or si je dis : « ce vent est froid, parce que je le ressens tel » c’est aussi vrai que si une autre personne dit en même temps : « Selon moi, ce vent est tiède parce que je le ressens tiède » : cela signifie bien que le même vent serait à la fois froid et tiède.
Mais le reproche qui vient en premier dans le Théétète de Platon (2) est un reproche politique. On y trouve Socrate, reprochant à Protagoras d’être un démagogue qui flatte le peuple en lui donnant à croire que les sensations du plus ignare des hommes sont des sources de vérité beaucoup plus valables que celles qui jaillissent des discours des plus savants (y compris de Protagoras lui- même !). Non seulement la philosophie et son argumentation sont stérilisées, mais encore la démocratie considérée comme le lieu où s’épanouit l’opinion de chacun apparait comme l’occasion de déchirement puisque si chacun a raison, alors l’anarchie régnera – à moins qu’un démagogue ne vienne persuader artificieusement que tous pensent en réalité comme lui.
Il faudra attendre le 18ème siècle – siècle des Lumières – pour admettre que la vérité soit ce sur quoi on est tous tombés d’accord. Et encore : il y a des conditions pour y parvenir, la vérité dont il s’agit ne relève pas d’un surgissement originaire : elle opère dans le domaine politique et  elle dépend d’un choix de valeurs.
Comme dit Rousseau, avant de voter pour dire ce qu’on veut, il faut d’abord qu’on se soit constitué comme peuple – c’est à  dire comme unis par des valeurs communes (3).
o-o-o
Ce chemin peut aussi être fait en sens inverse : un peuple peut se défaire quand plus personne n’est d’accord avec les valeurs de son voisin.
N’est-ce pas ce qui risque de nous arriver ?
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(1) Voici le passage complet dans une traduction un peu différente : «  Voyons, Hermogène,  penses-tu aussi que les êtres n'aient qu'une existence relative à l'individu qui les considère, suivant la proposition de Protagoras, que l'homme est la mesure de toutes choses ; de sorte que les objets ne soient pour toi et pour moi que ce qu'ils nous paraissent à chacun de nous individuellement ; ou bien te semble-t-il qu'ils aient en eux-mêmes une certaine réalité fixe et permanente? » Voir ici (avec le texte grec)
(2) Voir ici cet extrait du Théétète.
(3) C'est par exemple la difficulté rencontrée à propos du peuple ukrainien : un seul peuple ou bien deux peuples ?

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