Que serions-nous sans nos haines ? Ce sont elles qui nous
promettent la victoire.
Dialogue
du film « Le miroir magique » de Manoel de Oliveira (2005)
Cette citation a été cueillie parmi une quantité
d’autres possibles dans ce film si puissant (la puissance calme d’un
réalisateur presque centenaire à l’époque où il réalisa ce film). Je renonce à en
parler, d’autres l’ont fait il y a déjà longtemps (voir ici).
On sait que la haine est un puissant
adjuvant de l’instinct de survie lorsque les conditions en sont très dégradées.
On pense en particuliers aux détenus, emprisonnés pour de longues peines, sans
autre horizon que l’espoir de se venger de ceux qu’ils estiment responsables de
leur malheur. (1)
Pour le prisonnier, la haine est alors
plus qu’un sentiment, plus qu’un désir : elle est le metteur en scène qui
donne à vivre ce moment où les portes de la prison se refermeront derrière lui.
En évoquant le rôle d’un metteur en
scène, on pense inévitablement à ces films qui ont exploité cet espoir, en
particulier le western ou le film noir américain. Il s’agit à chaque fois
de montrer l’épisode de la vengeance, un
peu comme le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas.
Mais ce n’est pas tant à cela que nous
pensons aujourd’hui : il s’agit moins de la vengeance réelle que du
fantasme qui la précède.
De même, nous éviterons d’évoquer cet
aspect de la haine qu’on résume parfois par cette expression issue du parler-banlieue :
« j’ai la haine ». Il ne
s’agit pas en effet de cette boule psycho-physiologique qui place notre haine
dans notre estomac, telle une pierre que nous aurions avalée et qui y resterait. (2)
Qu’est-ce que la haine apporte donc au
malheureux prisonnier ? Comment est-elle capable de soutenir cet homme
victime de toutes sortes de privations durant de si longues années ? C’est
qu’en lui promettant de revivre cette fois victorieusement l’épisode de la
trahison, la haine lui promet la
victoire.
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(1) Nous parlons essentiellement du
prisonnier enfermé pour une longue peine. Mais il va de soi que tout homme qui
a subi un grave échec qu’il estime l’effet d’une trahison est concerné.
(2) Il faudrait faire une place à part
au film de Mathieu Kassovitz : voir ici.
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