Monday, June 09, 2014

Citation du 10 juin 2014

Le plus souvent l'amour n'a pour objet un corps que si une émotion, la peur de le perdre, l'incertitude de le retrouver se fondent en lui. […] A ces êtres-là, à ces êtres de fuite, leur nature, notre inquiétude attachent des ailes.
Proust – La Prisonnière (Voir ci-dessous la citation complète)
La mort révèle l'amour, c'est l'inconsolable qui pleure l'irremplaçable.
Vladimir Jankélévitch (Cité le 24 avril 2014)

Éloge de l’inquiétude II
J’aime que Proust et Jankélévitch se rejoignent par citation interposée. Cette convergence des esprits nait de leur co-naisance à partir d’un terreau commun, et nous pouvons du coup espérer, à condition d’y plonger nous-mêmes nos racines, en profiter pour générer de belles pensées, cousines des leurs.
o-o-o
Ce que nous apprend Jankélévitch, c’est qu’au fond de tout amour véritable, de tout grand amour, il y a une inquiétude : celle de le perdre. C’est cette intuition qui donne à l’amour une nuance de tragédie, mais elle ne fait pas que cela : selon Proust, c’est elle qui transcende le rapport au corps de l’aimé(e), qui fait de cette étreinte-là autre chose qu’un rut ordinaire. Je veux me fondre dans le corps de ma bien-aimée, parce que c’est le seul moyen de la retenir. Au petit matin, on le sait déjà, elle partira, car comme l’ange ce corps est pourvu d’ailes ; mais c’est pour mieux s’envoler au loin.
Si on ne peut retenir l’insaisissable, peut-on au moins le prolonger ?
Je ne vois qu’un moyen : profiter des vacances pour vivre un amour destiné à vivre au-moins jusqu’à la fin de l’été.
--> Vous voilà, dans la moiteur de la fin de la nuit, sur le dancefloor du Macumba, entrain de tanguer un slow, enlacé étroitement avec le corps de cette fille que vous ne connaissiez peut-être même pas au début de la soirée. Et c’est là que l’inquiétude va s’insinuer en vous. Avant de vous dire : « Vite, trouver un coin tranquille pour consommer la chose ! » vous vous dites : « Bientôt le jour, elle sera partie… » Ou même, « Bientôt la fin des vacances ; elle repartira chez elle et je ne la verrai plus ». Inquiétude de pourceau qui aurait une étincelle de conscience et qui s’en servirai pour se demander si son auge serait encore pleine demain.
Mais, si vous êtes un peu humain, et donc métaphysicien, vous vous dites : « En l’étreignant, je n’étreindrai qu’un corps. C’est cette âme que je sens frissonner sous mes doigts, qu’il faudrait retenir. Mais elle va s’envoler parce qu’elle est insaisissable ! »
Et c’est là que Proust vient pour vous rassurer : Quelle chance tu as ! C’est justement parce que tu as peur de la perdre que tu devines que cette fille est un être de fuite.

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