Proust – La Prisonnière (Voir ci-dessous la citation
complète)
La mort révèle
l'amour, c'est l'inconsolable qui pleure l'irremplaçable.
Vladimir Jankélévitch (Cité le 24 avril 2014)
Éloge de l’inquiétude II
J’aime que
Proust et Jankélévitch se rejoignent par citation interposée. Cette convergence
des esprits nait de leur co-naisance à partir d’un terreau commun, et nous
pouvons du coup espérer, à condition d’y plonger nous-mêmes nos racines, en
profiter pour générer de belles pensées, cousines des leurs.
o-o-o
Ce que nous
apprend Jankélévitch, c’est qu’au fond de tout amour véritable, de tout grand
amour, il y a une inquiétude : celle de le perdre. C’est cette intuition qui donne
à l’amour une nuance de tragédie, mais elle ne fait pas que cela : selon
Proust, c’est elle qui transcende le rapport au corps de l’aimé(e), qui fait de
cette étreinte-là autre chose qu’un rut ordinaire. Je veux me fondre dans le
corps de ma bien-aimée, parce que c’est le seul moyen de la retenir. Au petit
matin, on le sait déjà, elle partira, car comme l’ange ce corps est pourvu
d’ailes ; mais c’est pour mieux s’envoler au loin.
Si on ne peut
retenir l’insaisissable, peut-on au moins le prolonger ?
Je ne vois qu’un
moyen : profiter des vacances pour vivre un amour destiné à vivre au-moins
jusqu’à la fin de l’été.
--> Vous
voilà, dans la moiteur de la fin de la nuit, sur le dancefloor du Macumba,
entrain de tanguer un slow, enlacé étroitement avec le corps de cette fille que
vous ne connaissiez peut-être même pas au début de la soirée. Et c’est là que
l’inquiétude va s’insinuer en vous. Avant de vous dire : « Vite,
trouver un coin tranquille pour consommer la chose ! » vous vous
dites : « Bientôt le jour, elle sera partie… » Ou même, « Bientôt
la fin des vacances ; elle repartira chez elle et je ne la verrai
plus ». Inquiétude de pourceau qui aurait une étincelle de conscience et
qui s’en servirai pour se demander si son auge serait encore pleine demain.
Mais, si vous
êtes un peu humain, et donc métaphysicien, vous vous dites : « En l’étreignant,
je n’étreindrai qu’un corps. C’est cette âme que je sens frissonner sous mes
doigts, qu’il faudrait retenir. Mais elle va s’envoler parce qu’elle est
insaisissable ! »
Et c’est là que
Proust vient pour vous rassurer : Quelle chance tu as ! C’est
justement parce que tu as peur de la perdre que tu devines que cette fille est un être de fuite.
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