Citation du 14 juin 2014

La vie est une intensité, le temps est une mesure.

Pascal Quignard –  La barque silencieuse

En effet, voici bien ce qu'est le temps : le nombre du mouvement par rapport à l'antérieur et au postérieur.

Aristote –  Physique - Livre IV.  1, 17

Sans doute Pascal Quignard a-t-il en tête cette définition d’Aristote quand il dit que le temps est une mesure. Mais il ajoute aussi que cette mesure peut s’appliquer à la vie. Car si le temps mesure le mouvement et s’il peut mesurer la vie, c’est parce que celle-ci est en mouvement, ne serait-ce que biologique : quand des paléontologues trouvent un squelette préhistorique, c’est à ses dents qu’ils évaluent la durée de la vie : neuves ou usées, elles ont servi et cela nous permet d’en calculer l’âge.

Mais la vie est plus que ce que mesure le temps : elle est intensité. Rappelons-nous le choix d’Achille : à choisir entre une vie longue et obscure et une vie courte et héroïque, ce fut la seconde qu’il choisit – vivre intensément !

En quoi consiste la peine de prison infligée au coupable ? En une privation de liberté ? Oui, mais encore faudrait-il savoir ce qu’est pour chacun la liberté. Si c’est de jouer aux cartes et de regarder la télé alors que feraient-ils de plus en liberté ? Disons que la prison prive surtout de l’intensité de la vie. Aucune émotion neuve, aucun imprévu, l’éternel retour des mêmes bruits de clefs dans la serrure, des mêmes escaliers à descendre, de la même cour de promenade.

La question que soulève cette citation de Quignard est typiquement nietzschéenne : Qu’est-ce qui peut stimuler l’intensité de la vie ? Pour Nietzsche nous avons besoin d’excitants de la vie, que ces excitants soient produits par nous-mêmes ou qu’ils nous viennent de l’extérieur.

Pour Pascal Quignard, je crois deviner que la réponse est plutôt heideggérienne : l’excitant de la vie, c’est la mort, ou plutôt la mortalité. Le souci originaire qui éclaire la vie, c’est l’intuition de notre mortalité. Il y a urgence à vivre, à vivre pleinement la vie, à vivre ce pourquoi la vie vaut la peine d’être vécue.