L’avenir est inconnu et source
d’inquiétude : seuls les condamnés à mort sont rassurés.
Francis
Duponchelle – Pour la science
Eloge
de l’inquiétude III
Duponchelle ironise, mais il énonce une
vérité. L’inquiétude signifie que l’avenir n’est pas encore fait. Il n’est pas écrit,
ou alors, s’il l’est, nous ne le savons pas.
Pour éviter l’inquiétude, il faut donc
être certain de l’avenir – ou si l’on préfère, certain que tel évènement que
nous espérons ou redoutons, va se produire – ou pas – dans un délai très
précis. Le pauvre espère que le jour qui se lève lui offrira son repas
quotidien. Le riche n’espère rien du tout de ce genre car il est sûr du
résultat.
L’homme est un être mortel : s’il
aime la vie, il peut se demander avec inquiétude s’il vivra encore ce soir. Le
condamné à mort qui voit le jour se lever et qui sait que son exécution doit
avoir lieu, n’a pas besoin de s’inquiéter : il sait qu’il va mourir dans 2
heures – dans 1 heure – dans 30 minutes…
Que préférons-nous ?
S’inquiéter de l’avenir, c’est peut-être
en désespérer, mais c’est aussi l’espérer.
Ne pas nous inquiéter ?
Cette question clive la philosophie en
deux camps : d’une part ceux qui estiment que l’inquiétude est la source
du mal, et que seule une vie limitée à l’instant présent mérite d’être vécue.
Vous avez reconnu l’épicurisme.
Et puis, il y a ceux pour qui
l’inquiétude (souvent rebaptisée angoisse) est l’indispensable révélation de la
fragilité de notre nature, de la faille qui nous parcourt en profondeur :
voici l’existentialisme (1).
Application ?
A propos de la mort : notre mort
est certaine, oui – mais nous ne savons pas en quoi elle consiste. Quelle
sensation, ça fait donc de mourir ? Est-ce que ça fait mal ? Est-ce
qu’on voit une lumière blanche au bout d’un tunnel ? Aucune idée. Donc,
appliquons nous à vivre sans y penser : nous mourons pardessus le marché, comme disait Sartre.
Oui, mais s’il y a une certitude c’est
bien que notre vie est limitée. Voyez le vieillard : lui, il sait qu’il
n’en a plus pour très longtemps. Ce qu’il n’a pas encore fait, il faut qu’il se
dépêche de le faire, parce que plus tard, ce sera sans doute trop tard. La
certitude de la mortalité est un accélérateur d’intensité pour notre vie. C’est
grâce à la mort que notre vie devient le souci
de vivre (Heidegger).
Christian Bobin ironise sur le condamné
à mort : qui donc voudrait être à sa place ? Mais en réalité, même si
nous savions que nous devons mourir dans un mois (maladie fulminante), nous
aurions encore la possibilité de faire ce que le prisonnier ne peut pas
faire : comme de revoir nos proches et nos amis, leur dire adieu et nous réconcilier
avec ceux qui nous ont fâchés.
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(1) L’existentialisme chrétien du moins.
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