Sunday, June 22, 2014

Citation du 22 juin 2014

Le bateau où elle était assise, pareil à un trône étincelant, – flamboyant sur l’eau; la poupe était d’or battu; – les voiles, de pourpre et si parfumées que – les vents se pâmaient sûr elles…
Shakespeare Antoine et Cléopâtre (scène 7)
L'odorat est en quelque sorte un goût à distance, et il oblige les autres personnes, qu'elles le veuillent ou non, à en partager l'apport […] l'ingestion par l'odorat (dans les poumons) est encore plus intime que par les canaux absorbants de la bouche ou du gosier
Kant – L'anthropologie d'un point de vue pragmatique, § 21
(cité le 28 décembre 2012)
Il est frappant de constater à quel point l'adolescent fréquemment pue
J.J. Delfour – L'odeur du corps et le parfum du jouir. ..



Cléopâtre, venant retrouver Marc-Antoine, a fait parfumer les voiles de son bateau pour que son amant soit averti  de son arrivée avant même que son navire n’apparaisse sur l’horizon. Son parfum, c’est elle-même qui se propage avec le vent. Nous avons déjà examiné cette caractéristique du parfum de paraitre une émanation de l’être qui le porte, qu’il devance et qu’il signale. D’ailleurs, les fabricants de parfums axent leur publicité sur cette révélation de soi qu’on souhaite faire partager aux autres.

Renversant ce code, Jean-Jacques Delfour aborde frontalement cette curiosité souvent refoulée ou méconnue : les adolescents puent. Sont-ils comme les putois, à utiliser leur odeur pour éloigner les prédateurs au moment où leur corps devient un objet érotique ? Utilisent-ils leur odeur comme un répulsif alors que d’autres utilisent le parfum pour son pouvoir attractif ? (1)
J.J. Delfour le suppose, et on peut considérer cette hypothèse comme plausible – parmi  d’autres.
- Comme par exemple le fait que les règles d’hygiène strictes qui ont été imposées par les parents soient devenues pour les ados le symbole de leur autorité qu’ils essaient alors de contester.
L’odeur du corps – qu’elle soit sui generis, ou bien dûe à un parfum artificiel – est en tout cas une façon de faire partager aux autres un peu de sa nature. C’est pourquoi on ne supporte plus de nos jours les odeurs corporelles en dehors de certaines circonstances, comme lorsqu’il s’agit des odeurs de l’amour (2). Sans doute est-ce parce qu’on se refuse à communiquer sans contrôle aux autres quoique ce soit de notre intimité.
Oui, c’est bien de l’intimité qu’il s’agit : comme le dit Kant, nous voyons bien que l’ingestion par le nez les poumons est encore plus intime que par la bouche ou le gosier. Comme le bon vin, on doit humer une belle femme, plutôt que de la boire – ou de la manger.
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(1) Un peu de la même façon Sartre, mobilisé en 1940 (et qui n’était certes plus adolescent) écrit à Simone de Beauvoir qu’il ne se lave ni ne se rase : il passe ses journées à écrire et il fait tout ce qu’il peut pour qu’on lui f… la paix.  Le capitaine, passant par là, disait à son propos : « Les écrivains, il vaut mieux les lire que les voir. » 

(2) Et même là ce n’est pas toujours exact. Je crois que c’est un personnage de Kundera (dans l’insoutenable légèreté de l’être) qui, lorsqu’il a séduit une femme, couche avec elle, mais ne reste pas la nuit entière dans son lit, car, dit-il, il ne supporte pas l’odeur de son corps.

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