Le
bateau où elle était assise, pareil à un trône étincelant, – flamboyant sur
l’eau; la poupe était d’or battu; – les voiles, de pourpre et si parfumées que
– les vents se pâmaient sûr elles…
Shakespeare Antoine et Cléopâtre (scène
7)
L'odorat est en quelque sorte un goût à distance, et
il oblige les autres personnes, qu'elles le veuillent ou non, à en partager
l'apport […] l'ingestion par l'odorat (dans les poumons) est encore plus intime
que par les canaux absorbants de la bouche ou du gosier
Kant –
L'anthropologie d'un point de vue pragmatique, § 21
(cité le 28 décembre 2012)
Il
est frappant de constater à quel point l'adolescent fréquemment pue
J.J. Delfour –
L'odeur du corps et le parfum du jouir. ..
Cléopâtre,
venant retrouver Marc-Antoine, a fait parfumer les voiles de son bateau pour
que son amant soit averti de son arrivée
avant même que son navire n’apparaisse sur l’horizon. Son parfum, c’est
elle-même qui se propage avec le vent. Nous avons déjà examiné cette
caractéristique du parfum de paraitre une émanation de l’être qui le porte,
qu’il devance et qu’il signale. D’ailleurs, les fabricants de parfums axent
leur publicité sur cette révélation de soi qu’on souhaite faire partager aux
autres.
Renversant
ce code, Jean-Jacques Delfour aborde frontalement cette curiosité souvent
refoulée ou méconnue : les
adolescents puent. Sont-ils comme les putois, à utiliser leur odeur pour
éloigner les prédateurs au moment où leur corps devient un objet
érotique ? Utilisent-ils leur odeur comme un répulsif alors que d’autres
utilisent le parfum pour son pouvoir attractif ? (1)
J.J.
Delfour le suppose, et on peut considérer cette hypothèse comme plausible –
parmi d’autres.
-
Comme par exemple le fait que les règles d’hygiène strictes qui ont été
imposées par les parents soient devenues pour les ados le symbole de leur
autorité qu’ils essaient alors de contester.
L’odeur
du corps – qu’elle soit sui generis,
ou bien dûe à un parfum artificiel – est en tout cas une façon de faire
partager aux autres un peu de sa nature. C’est pourquoi on ne supporte plus de
nos jours les odeurs corporelles en dehors de certaines circonstances, comme
lorsqu’il s’agit des odeurs de l’amour (2). Sans doute est-ce parce qu’on se
refuse à communiquer sans contrôle aux autres quoique ce soit de notre
intimité.
Oui,
c’est bien de l’intimité qu’il s’agit : comme le dit Kant, nous voyons
bien que l’ingestion par le nez les
poumons est encore plus intime que par la bouche ou le gosier. Comme le bon
vin, on doit humer une belle femme, plutôt que de la boire – ou de la manger.
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(1)
Un peu de la même façon Sartre, mobilisé en 1940 (et qui n’était certes plus
adolescent) écrit à Simone de Beauvoir qu’il ne se lave ni ne se rase : il
passe ses journées à écrire et il fait tout ce qu’il peut pour qu’on lui f… la
paix. Le capitaine, passant par là,
disait à son propos : « Les écrivains, il vaut mieux les lire que les
voir. »
(2)
Et même là ce n’est pas toujours exact. Je crois que c’est un personnage de
Kundera (dans l’insoutenable légèreté de
l’être) qui, lorsqu’il a séduit une femme, couche avec elle, mais ne reste
pas la nuit entière dans son lit, car, dit-il, il ne supporte pas l’odeur de
son corps.
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