Quelle triste chose que sur toute la terre les gouvernements soient toujours précisément aussi coquins que les moeurs de leurs sujets peuvent leur permettre de l'être.
Alexis de Tocqueville – Correspondance
Tocqueville se méfie de la politique et des hommes : en bon héritier du siècle des lumières, il considère que la morale ne peut être séparée de la politique. Comme Kant, il estime qu’un progrès des mœurs devrait être la condition de la marche vers la démocratie. C’est la raison qui le pousse à lutter contre le centralisme, le pouvoir absolu, en bref contre le despote éclairé quelqu’il soit (monarque ou peuple souverain). « Il n'y a que Dieu qui puisse sans danger être tout-puissant » dit-il.
Dans le contexte du débat sur les « jurys populaires » destinés à évaluer le travail des élus, cette citation de Tocqueville ne manque pas d’intérêt : les gouvernements doivent être contrôlés parce qu’ils sont corrompus. Mais si le peuple qui doit les contrôler est aussi corrompu que lui, et, s’il pouvait les contrôler efficacement, alors il n’y aurait justement plus besoin de contrôle, puisque ça voudrait dire que la corruption n’existe plus.
Ce que je note, c’est qu’on se focalise sur le conflit de légitimité avec les élus que ces jurys risquent de produire et certes le sujet mérite un débat étoffé. Mais ce qu’on peut aussi légitimement se demander, c’est quelle est la compétence exigée pour participer à ces jurys. La réponse de madame Royale ne manque pas de panache : aucune compétence n’est requise pour être citoyen : le tirage au sort suffit pour opérer ce choix. Comme dans la démocratie athénienne ; comme dans les jurys d’assise. Mais les citoyens peuvent fort bien être égaux dans la médiocrité et dans la corruption. Selon Aristote comme selon Montesquieu, le principe de la démocratie, c’est la vertu. Une république de coquins n’a aucune chance de se gouverner elle-même : que des coquins contrôlent des coquins, et c’est la guerre des gangs qui nous attend.
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