« Chez les intellectuels l'alignement [sur les thèses nazies] était de règle et pas chez les autres. Parce qu'ils avaient une théorie sur Hitler. Des idées éminemment intéressantes, figurez-vous. Des théories fantastiques, passionnantes, sophistiquées ! »
Hannah Arendt
Quand on est un intellectuel, ou du moins quand on a de la sympathie pour eux, on sait bien où le bât blesse. On se rappelle de mai 68 et des appels à s’aligner sur les slogans du Petit Livre Rouge ; pire encore : on a eu, au début des années 70, un étonnement admiratif pour Pol Pot qui avait vidé les villes du Cambodge et supprimé la monnaie (du moins c’est ce qu’on croyait alors). Bref, y a-t-il une dictature qu’on n’ait pas encensée ? Staline, Fidel, Mao, Lénine… Sartre à La Havane, Montand et Signoret à Moscou, et Aragon et bien d’autres encore… (1)
Pourquoi cette vulnérabilité ? Hannah Arendt répond : parce que les intellectuels sont des gens qui ne voient pas la réalité ; ils ne voient que des « théories fantastiques », qu’ils plaquent sur la réalité. Les dictatures les plus acharnées sont aussi celles qui prétendent réformer l’humanité, fabriquer l’homme nouveau : on est en pleine utopie, et l’intellectuel est quelqu’un qui aspire à l’utopie, parce que son esprit agile n’est plus embarrassé par les lourdeurs du réel. On a peine à y croire, mais ce sont les intellectuels qui sont les plus acharnés, les plus criminels parfois : Céline jugeait Vichy trop tiède avec les juifs. « Donnez moi une mitraillette et vous verrez ce que j’en fais » disait-il.
Notre Père à tous, nous philosophes et intellectuels, j’ai nommé Platon, voulait que le philosophe gouverne la cité : lui seul a la légitimité pour être roi, parce que lui seul a la science. Alors, c’est peut-être là que se trouve la réponse à notre question sur la fragilité des intellectuels en politique. C’est qu’ils croient qu’existe une science politique, que celle-ci obéit à des lois inflexibles (celles de l’histoire par exemple), qu’il est donc possible de connaître de façon rigoureuse ce que doit devenir l’humanité.
Donnez leur le pouvoir, et vous verrez ce qu’il en feront !
(1) Certes les dictatures de droite, Franco, Pinochet, les Colonels grecs semblent ne pas faire partie du lot. Mais qui sait ?
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