Dans un amour, j'y consens volontiers, l'on peut rester surpris que tel homme s'éprenne de telle femme, et réciproquement, alors que rien ne semble motiver cet amour, sinon précisément ceci: que c'est lui, et que c'est elle.
Gide - Préface aux Essais de Montaigne
Au départ, vous avez la formule de Montaigne « expliquant » son amitié pour Etienne de La Boétie : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi. ». A la surprise de constater l’amitié de Montaigne pour La Boétie, s’ajoute celle de cette réponse, qui ne nous explique rien (1). Gide va donc nous dire pourquoi c’est une vraie réponse.
1 - Gide suppose que cette formule soit la réponse à un étonnement, qu’il admet justifié : « pourquoi telle amitié avec tel homme, avec telle femme ? » C’est pourtant là que Montaigne nous plante avec son étrange réponse.
2 - Ne faudrait-il donc pas se demander, d’abord, « Pourquoi l’amour ou l’amitié » ? Après tout on ne passe sûrement pas toute sa vie à aimer, dans la passion ou dans la profondeur du sentiment. Alors la question primitive devrait être « Pourquoi passe-t-on d’une état neutre à un état amoureux ? ». A Montaigne on devrait demander non pas « pourquoi ton amitié pour La Boétie », mais « comment se fait-il que l’amitié ait une telle importance dans ta vie ? ».
3 - C’est ici que commence la réponse de Gide. La question que nous venons de poser suppose que l’amitié préexiste, sous forme de demande ou de besoin, à la rencontre de l’ami. Montaigne aurait dit alors : « C’est toi mon ami, Etienne, parce que, quand j’avais besoin d’un ami, tu as accepté de l’être. ». Non. Le besoin d’amitié ne s’explique que par la présence de celui qui peut le devenir. Autrement dit : « Quand je t’ai connu, Etienne, alors j’ai eu besoin de toi. » On n’a pas besoin d’amitié ; mais on a besoin de cet ami. Et pareil pour l’amour.
4 - Conséquences : on reconnaît ici ce que les métaphysiciens appellent une cause première, c’est à dire ce qui constitue le premier maillon dans une chaîne causale : c’est le « parce que » à la suite du quel on n’a pas à demander « pourquoi ? ». Ce qui signifie qu’on n’a pas à demander pourquoi on aime, puisque c’est une cause première, mais seulement qui on aime.
(1) D’ailleurs serions nous plus satisfaits si Montaigne répondait : « parce que j’ai toujours aimé les hommes qui avait cette moustache », ou alors : « il m’a séduit par le timbre de sa voix » ?
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