Ma liberté, comme on m’emprisonne en ton nom.
Aragon – Le paysan de Paris (p. 68)
Méfiez-vous des discours sur la liberté. Comme d’ailleurs de ceux qui sont consacrés à la justice, à la fraternité, à la charité, que sais-je ?
Mais bon. Il faut savoir se limiter, disons donc : on m’emprisonne au nom de la liberté.
On use donc d’une idée de la liberté pour la détruire dans la réalité.
Comme par exemple tous les renoncements dans l’espoir de voir se réaliser nos désirs dans l’avenir. Comme de supposer que pour réaliser notre liberté il faut savoir nous soumettre à la loi des autres.
Est-ce donc cette banalité-là que Aragon signale ?
Disons qu’il s’agit sans doute de cette situation, mais qu’elle n’est pas si vulgaire.
Aragon est à l’époque du Paysan de Paris un surréaliste pur et dur. Comme tous les surréalistes il déteste l’abus fait à son époque de la rigueur rationnelle, considérée comme un carcan destiné à brimer l’imagination, la création, et – justement – la liberté.
Spinoza le disait déjà : être libre, c’est vivre sous la conduite de la raison. Depuis, tous les philosophes – et en particulier Kant – en ont rajouté plusieurs couches : la raison, c’est cette part de nous-mêmes qui est présente chez tous les hommes, c’est elle qui est à l’origine de la liberté : être libre c’est agir selon des principes universels. Certes, l’obéissance à la loi qu’on s’est donnée est liberté, mais cette loi doit être rationnelle, ce qui signifie que pour être libre je ne peux vouloir que ce que tous les hommes voudraient aussi pour eux-mêmes, s’ils étaient dans la même situation.
Donc être libre c’est avoir une conduite prévisible, puisque ordonnée selon une loi, explicable aux autres et coordonnée avec les leurs.
En face de cela, les surréalistes clament que la réalité n’est pas celle-là. La liberté, c’est dans le désir qu’elle se trouve. Et la réalité des désirs, c’est l’incohérence, la versatilité, la contradiction, et l’indifférence à l’égard de tous les autres.
La liberté peut aussi être incohérente, et la raison une prison.
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