… le raisonnement injuste, si tu te le fais enseigner, eh bien, les dettes que j’ai à cause de toi, tout ce que je dois, je n’en rembourserai pas un sou à personne !
Aristophane – Les nuées, vers 114 et suivants
Ce post m’a été suggéré par la lecture de l’article de Pierre Judet de la Colombe dans Libération, 31 mai 2010, p.24
Je disais ici même hier combien nos revendications actuelles pouvaient s’enraciner dans un lointain passé. En voici encore une preuve : tout le monde dit que la Grèce ne remboursera pas sa dette, simplement parce que la charge en serait insupportable. Mais on n’a pas suffisamment remarqué, comme nous le rappelle Pierre Judet de la Colombe, que les anciens grecs avaient déjà dit quelque chose sur le non remboursement des dettes – quelque chose qui pourrait nous renseigner sur ce qui se passe aujourd’hui.
L’idée est qu’on n’aurait pas à rembourser une dette injuste. On s’amuse, avec cette citation d’Aristophane, de voir le vieux père supplier son incapable de fils d’aller écouter les leçons du pire de sophistes, Socrate en personne, pour obtenir des tribunaux de ne pas rembourser ses dettes. Après tout se dit-on, c’est une escroquerie de plus.
Mais on pourrait aussi se dire que, si la dette injuste n’a pas à être remboursée, il reste à définir cette injustice.
Lisons Aristote (1) : l’enrichissement peut avoir deux fonctions : l’une qui est de satisfaire des besoins ; l’autre qui est l’enrichissement indéfini. Même si on n’est jamais sûr d’être assez riche pour être à l’abri des besoins (comme le dira Hobbes), il n’en reste pas moins que la première forme d’enrichissement admet une limite – au moins théorique. Par contre, ce n’est pas le cas de l’autre, et pour un grec, c’est là le caractère insupportable de la spéculation financière : vouloir toujours plus, sans limite, c’est le désordre absolu.
C’est donc du côté de la spéculation financière qu’il nous faut regarder : si la dette contractée par les grecs l’a été auprès de spéculateurs, alors son non remboursement n’aurait pas de caractère scandaleux.
La Firme Goldman-Sachs serait-elle donc anti-aristotélicienne ?
(1) Texte : "C’est ainsi que d’un côté il semble que toute richesse ait une limite, alors que d’un autre côté, nous voyons le contraire se produire dans les faits, car tous ceux qui pratiquent la chrématistique augmentent sans limite leur avoir en argent.
La cause de cette confusion c’est la proximité de ces deux arts, car les emplois de deux formes de l’art d’acquérir ont un point commun, étant l’emploi de la même chose : la propriété également utilisée par ces deux arts, mais pas de la même manière, l’une servant en vue d’autre chose (= la vie heureuse des membres de la famille), l’autre en vue de son pur et simple accroissement."
Aristote – Les politiques, I, 9 1257b
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