Je finis toutes mes lettres par dire : Écr. l'inf... [Ecrasons l’infâme], comme Caton disait toujours : Tel est mon avis, et, qu'on ruine Carthage.
Voltaire – lettre à Damilaville, du 26 juillet 1762
Écr. l’inf. Voltaire en vint même à signer simplement Écrlinf (lettre à Damilaville du 27 janvier 1768). Une note de Beuchot nous apprend que les employés de la poste chargés de décacheter ses lettres crurent à l'existence d'un particulier nommé Écrlinf, habitant la Suisse, qui, disaient-ils, « n'écrit pas mal ». (Voir ici)
Non, non : vous ne me ferez pas dire quelque méchanceté sur les postiers suisses…
D’autant que ce qui frappe, c’est cette habitude de faire précéder (ou suivre) sa signature d’une mention ou d’une devise qui prend sa force de sa répétition même. Habitude à laquelle nous n’avons pas renoncé, nos messageries nous permettant de faire suivre automatiquement tous nos mails d’une formule – en général informative (nom, adresses, téléphone) – mais aussi parfois plus morale, comme ce correspondant qui terminait tous ses messages par cette injonction : Souriez ! Demain sera pire.
Essayons de voir comment ça marche.
1 – Observons déjà que la proximité de la signature est un élément qui contribue à renforcer la formule en question. L’engagement personnel que représente le fait de signer une lettre rejaillit sur l’expression rituelle qui la suit.
2 – La répétition de la même formule, qui revient à chaque lettre, est également un facteur très puissant pour en accroitre la signification.
Nous qui n’écrivons plus – ou du moins qui écrivons peu, dans la mesure où les mails et les twitts comportent de moins en moins de mots – nous aurions tort de croire que cette règle ne joue plus. Car la répétition des messages est devenue infiniment plus fréquente et plus obsédante qu’au temps de Voltaire.
On l’a déjà deviné : je pense à ces multiples médias d’informations qui répètent « en boucle » les informations, toujours les mêmes, comme par exemple dans l’affaire DSK, surtout le 1er jour quand on ne savait finalement rien du tout.
J’avais consacré un Post à la répétition, dans le sillage de la théorie de Shannon. Maintenant je crois qu’il faut dire que Shannon a certes eu raison d’exclure la répétition de l’apport d’information, mais qu’en même temps il n’a pas fait l’inventaire de ses apports. Que celle-ci n’apporte pas d’information, ça va de soi ; mais qu’elle n’apporte rien, là c’est beaucoup moins pertinent.
La publicité, la propagande, le « lavage de cerveau », toutes ces techniques ont utilisé la puissance de la répétition. Mais alors qu’on croyait que celle-ci se bornait à réduire la conscience – comme sous l’effet de l’hypnose – pour la rendre plus vulnérable, on oubliait l’essentiel : la répétition modifie le message.
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