Saturday, June 11, 2011

Citation du 12 juin 2011


Le philosophe Emmanuel Kant, lorsqu'il invitait des amis à dîner, était un adepte de la règle de Lord Chesterfield, qui voulait qu'une réunion de convives, l'hôte compris, ne doit pas être inférieure au nombre des Grâces, ni supérieure à celui des Muses.
Le Petit journal de Saint-Jean.
Je n’ai pas retrouvé l’occurrence de cette citation dans l’œuvre de Kant voilà pourquoi je cite le Petit journal de Saint-Jean. Toutefois, comme nous savons déjà que notre philosophe avait disserté sur la nécessité de prendre ses repas à plusieurs, je considère la citation comme crédible.
- Sachant combien sont les Grâces et combien les Muses (1), partagez-vous cette opinion, de Lord Chesterfield et d’Emmanuel Kant réunis ?
Je ne serais pas surpris que votre radio vous pose la question, tant elle parait urgente, tant on n’a rien de mieux à faire que de réfléchir à ça… Toutefois, quand bien même on aurait mieux à faire, il n’en resterait pas moins que le refus du repas à deux (< aux 3 Grâces) parait un peu surprenant.
Certes, Kant a défini assez rigoureusement la fonction des repas (dans la citation évoquée plus haut). Mais pour l’essentiel il voulait alors nous alerter sur les dangers qu’il y avait à manger seul. Voilà donc que maintenant il nous déconseille le diner en tête à tête ?
Si je me reporte au texte de l’Anthropologie (cité ici) il compte sur les repas pour animer notre esprit des conversations qui vont s’y dérouler. Non pas comme avec nos banquets d’affaires ou nos brunchs politiques – pas même comme dans le Banquet de Platon où l’on picole plutôt qu’on ne mange : la conversation est chez Kant un adjuvant du repas. Entendez qu’elle n’est pas essentiellement là pour cultiver l’esprit ni pour apprendre des nouvelles importantes. Elle est là surtout pour nous encourager à profiter des mets et en faciliter la digestion.
Les convives sont donc une condition de la bonne humeur et du rire, qui lui-même est une condition d’un repas réussi, tant pour ouvrir l’appétit, que parce qu’il produit « le mouvement du diaphragme et des entrailles fort utile à l'es­tomac pour la digestion ».
Légèreté des conversations durant le repas, rires et plaisanteries au dessert : voilà ce qu’il nous faut ; voilà ce qui semble être exclu des repas en tête à tête, qui sont plus une rencontre entre deux esprits – ou entre deux sensibilités – qu’une occasion de se restaurer.
Maintenant si vous êtes invité à diner par les 3 Grâces, allez-y – avec vous, ça fera 4 : ça va bien. Mais je crains que le contenu de votre assiette ne vous paraisse quand même un peu secondaire.
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(1) = ni tête à tête, ni tablée de 10 personnes

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