[Le Diable] n'avait eu peur, relativement à son propre pouvoir, qu'une seule fois, c'était le jour où [il] avait entendu un prédicateur, plus subtil que ses confrères, s’écrier en chaire: « Mes chers frères, n'oubliez jamais, quand vous entendrez vanter le progrès des lumières, que la plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu'il n'existe pas ! »
Baudelaire – Spleen de Paris, XXIX – Le joueur généreux (œuvre téléchargeable avec d'autres textes poétiques ici)
La plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu'il n'existe pas !...
S’il est une période faste pour le Diable, c’est bien la période romantique. De Balzac à Baudelaire, les contes qui le mettent en scène sont innombrables, et font assaut d’originalité pour nous le décrire sous un jour attirant. On a déjà parlé de Cazotte et de son Diable amoureux. On a parlé aussi de la Peau de chagrin, qui sans être explicitement satanique porte en elle les stigmates du pacte fatal. Voici maintenant dans le Spleen de Paris le Diable, qui au cours d'un jeu fatal remporte l’âme de son adversaire et qui, grand seigneur, lui accorde en prime l’enjeu de jouissances et de fortune.
Mais surtout Baudelaire nous décrit un Diable bienveillant qui aide les hommes à cultiver et à diffuser les sciences et les progrès qu’elles permettent de faire. Car c’est le progrès des lumières qui nous persuade que le diable n'existe pas.
Pour faire vite, je dirai que les progrès de la science (et du positivisme comme dans notre texte) peut engendrer l’athéisme (dans le conte de Baudelaire, Dieu existe, certes, mais on le devine vieux et ronchon) mais qu’il ne parvient pas si facilement à neutraliser le Diable.
C’est une obsession médiévale qu’on a oubliée de nos jours : on se débarrasse plus facilement de Dieu que du Diable ; Baudelaire nous conduit à penser que même les progrès dont s’enorgueillit l’humanité font régresser le divin et progresser le satanique. Et cela non pas par orgueil justement, du moins pas comme Pascal le prédisait. Non, plutôt par l’assurance tranquille que du fait de la science, tout devient transparent. Plus de mystère, plus de miracles, plus de malédiction – voyez, de nos jours : même la sécheresse n’entraine ni processions, ni messes, ni actes de pénitence, etc…
Baudelaire nous le dit : la plus belle des ruses du diable est de nous faire oublier son existence. Autrement dit, ce qui est satanique, c’est l’oubli qu’il y a dans le monde et dans l’âme humaine une part d’ombre – celle où vient justement se nicher Satan.
Bon, je l’avoue : je ne crois pas plus au Diable qu’au Bon Dieu. Mais que la science nous trompe en nous faisant oublier notre part d’ombre, ça j’y crois.
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