Thursday, June 16, 2011

Citation du 17 juin 2011

Mais la raison pour laquelle le baiser dans le cou est si doux, Amour ne veut pas, ô Delfino, que je vous la révèle à présent…

Patrizi - Du baiser (1560)

Dans notre enquête sur le baiser, arrive forcément le moment où la décence et la bienséance bloquent son évocation – le moment où l’éloquence courante devient trop étroite pour dire les choses comme elles sont.

A cet égard, nous devons l’admettre : les humanistes de la renaissance (italienne) nous donnent encore aujourd’hui un exemple d’audace et d’élégance que nous ne saurions atteindre (pas moi du moins).

Voici donc l’analyse du baiser donnée par Fabricio Patrizi (publié en 1560 et réédité dans la collection les Belles lettres). Je ne saurais faire mieux que de vous proposer de partager ce texte, même si, je le reconnais, le secret maintenu sur le baiser dans le cou est bien frustrant.

Il est vrai que j’avais cru pouvoir l’expliquer (ici) en l’assimilant au bisou dans le cou du petit enfant. Mais je vois bien que mon explication n’était pas à la hauteur de l’enjeu.

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« Patrizi – Mais j'arrive maintenant au baiser. Le baiser est doux à l'amant pour nulle autre raison que parce qu'il permet de tirer les esprits de l'aimé, qu'on lui embrasse la main, le cou, ou la poitrine, ou la joue, ou les yeux ou la bouche. Pour cette même raison, le baiser avec succion est plus doux que ne l'est celui du bout des lèvres, car non seulement il permet de recueillir les esprits expulsés par le cœur, mais, grâce à la force de la succion, d'en tirer encore beaucoup d'autres dont on se nourrit. De là vient encore que de tous les baisers avec succion, celui de la bouche est le plus doux car on tire par la bouche, qui offre un passage plus large, beaucoup plus d'esprits que par les petits trous de la peau. Comparé au baiser avec succion, celui de la langue est encore plus doux, puisque non seulement il permet de tirer autant d'esprits que le baiser avec succion, mais encore bien davantage, car il tire également ceux de la langue qui est un corps entièrement spongieux et en est continuellement remplie, et goûte également l'humeur intérieure du corps aimé. Cette humeur contient chaleurs et esprits mêlés ; les deux douceurs réunies et mêlées de l'humeur et des esprits abondants tirés du cœur aimé provoquent ces palpitations, ces alanguissements et ces essoufflements qui affaiblissent, paralysent et font défaillir en un éclair le corps d'autrui.

Delfino - Maintenant tu es quitte, maintenant je suis tout à fait satisfait, et maintenant je comprends, grâce à toi, ô esprit très courtois, ces grandes merveilles et ces secrets très doux. Mais dites-moi pour finir, ô esprit très amoureux, d'où vient encore qu'on embrasse ces autres parties que tu as rappelées ?

Patrizi - L'amoureux embrasse en mordant, non pas pour tirer vers lui plus d'esprits qu'avec le baiser de la succion, mais parce que, se souvenant qu'il se consume d'amour pour cette personne et qu'elle l'a offensé dans son cœur, poussé par un désir soudain de vengeance envers celle qui le possède, il adopte ces armes comme les premières qui s'offrent à lui. Mais se souvenant que c'est également elle qui le maintient en vie, vite repenti, il transforme cette vengeance en un doux moyen de nourrir ses flammes. On embrasse les mains parce qu'elles sont les ministres des pensées du cœur aimé. On embrasse la poitrine parce qu'elle en est l'auberge. Mais la raison pour laquelle le baiser dans le cou est si doux, Amour ne veut pas, ô Delfino, que je vous la révèle à présent, mais priez-le dévotement que dans l'avenir au moins il daigne vous dévoiler ce secret ainsi qu'un autre qui concerne ce même baiser et qui est qu'on éprouve une douceur bien plus grande en embrassant la partie gauche qu'en embrassant la droite. En outre, on embrasse la joue parce qu'elle est l'auberge véritable de la beauté du visage, car elle est le véritable siège des couleurs qui la forment et de la douceur des lumières. On embrasse les yeux parce qu’ils sont la cause première et toute puissante des flammes et de la joie d'autrui. On embrasse la bouche enfin, parce qu'elle est la bouche de l'âme et du cœur et le siège principal des esprits de l'aimé qui s'y rencontrent plus nombreux qu'ailleurs. Et le baiser de la poitrine est plus doux que celui des mains, parce que les esprits, dont on se nourrit, arrivent de plus près et plus neufs du cœur producteur. La douceur des joues est en partie une illusion de l'amant qui croit se nourrir ainsi de la beauté aimée toute entière. Vous avez désormais compris pleinement l'origine du baiser et de sa douceur. Celle des yeux surpasse la douceur des autres parties hormis la bouche, car l'amant, blessé par leurs flèches très douces et suaves, panse, en les baisant, ses plaies et se repaît, grâce aux nouveaux esprits, d'une nouvelle douceur. Mais celle du cou, Amour ne veut pas que je vous l'explique tant que vous ne lui aurez fait un sacrifice digne de lui. »

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