Tuesday, February 21, 2006

Citation du 22 février 2006

"Timeo Danaos et dona ferantes" (« Je crains les Danaens (=Grecs), même porteurs de présents »
VIRGILE, Enéide, II, 49
Tous les lecteurs d’Astérix connaissent ce vers de l’Enéide. Ils ne savent peut-être pas tous que le présent perfide offert par les Grecs est le Cheval de Troie, qui symbolise généralement une ruse destinée à nuire à celui qui l’accepte. Il y a des cadeaux empoisonnés, on le sait. Mais ne sont-ils pas tous empoisonnés ?
Marcel Mauss dans son Essai sur le don a décrit la cérémonie du Potlatch (chez les Indiens de la côte ouest de l’Amérique) comme un rite agressif, consistant à offrir (voire même plus simplement à détruire) des présents de valeur au chef de la tribu voisine, qui devra à son tour faire de même, en plus abondant s’il le peut.
Il y aurait ainsi une humiliation à recevoir un don, sachant qu’il sera sans contrepartie, c’est-à-dire sans échange ; et on sort de l’échange dès lors que la contrepartie est simplement impossible en raison de la magnificence du cadeau. C’est donc le cas du potlatch. Autre exemple : Bernardin de Saint-Pierre raconte qu’un jour passant chez Rousseau en son absence il laisse sur sa table un paquet de café (très prisé et très cher à l’époque) ; rentré chez lui Rousseau lui renvoie l’objet avec un billet disant « Je vous rends votre cadeau parce que je serais incapable de vous en offrir un pareil. » Les petits cadeaux entretiennent l’amitié ; les gros cadeaux suscitent la rancœur et la hargne.
A première vue, il ne s’agit que d’un mouvement d’orgueil : je veux me montrer plus fort que l’autre, et je me sens agressé si je ne le peux pas. Mais tout cela veut peut-être dire aussi que la société du don ( du genre « A chacun selon ses besoins ») est une utopie, parce que toute société est fondée sur l’échange et que le don n’est pas à la base du lien social.
Au risque d’émouvoir les bonnes âmes, disons alors que la charité n’est pas une vertu sociale.

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