Friday, February 24, 2006

Citation du 25 février 2006

Juliette - Quelle satisfaction peux-tu avoir cette nuit ?
Roméo - L’échange de ton vœu de fidèle amour et de mon vœu.
J - Avant que tu l’aies demandé je te l’ai donné
Et je voudrais encore avoir à te le donner.
R - Tu voudrais le reprendre, oh pourquoi bien-aimée ?
J - Pour être généreuse, et te le redonner !
Shakespeare, Roméo et Juliette, II, 2, 126-131
[Ne reculant devant aucun sacrifice, La citation du jour offre à ses fidèles lecteurs deux commentaires de la même citation. Et toujours pour le prix d’un seul]
1er commentaire
Elle : Chouchou, dis-moi que tu m’aimes.
Lui : Mais oui, je t’aime, tu le sais bien.
Elle : Mais tu m’aimes comment ?
Lui : Comment ça ? Qu’est-ce que tu veux savoir de plus ? Tiens, je t’aime comme ma moto ! Oui, ma Suz 750, quand je l’enfourche et que je mets ma clef dans le démarreur…
Elle : Arrête ! Tu vas encore dire des cochonneries ! Je ne suis pas ta moto, je suis ta femme; et encore ; tant que je le voudrai bien.
Lui : Te fâche pas Minou. Tu le veux bien, dis ?
Elle : Je le veux bien maintenant. Mais tout à l’heure peut-être que je voudrai ne plus le vouloir.
Lui : ???
[Si ce commentaire ne vous a pas apporté de supplément de sens dont votre vie a besoin, demandez au philosophe d’intervenir, il est là pour ça]
2ème commentaire
Cette citation extraite de la célèbre scène du balcon, nous rappelle que l’amour, avant d’être un partage, est un don, et avant même d’être quelque chose que l’on donne est l’acte de donner : pour que ce don soit plus généreux il ne faut pas donner plus mais reprendre pour redonner. Aimer, c’est donner, inépuisablement donner.
Qu’est-ce qui peut ainsi justifier une telle réitération ? Ce n’est pas que ce que l’on donne est moins important que le fait de donner, c’est plutôt que ce que l’on donne ne peut durer au-delà de l’offre qui en est faite. Parce que, comme le dit Sartre, « l'amant ne désire pas posséder l'aimé comme on possède une chose ; il réclame un type spécial d'appropriation. Il veut posséder une liberté comme liberté » (L’être et le néant). Aimer, c’est s’offrir soi-même à l’autre, c’est lui avouer qu’on ne peut vivre sans lui : c’est faire le choix (= liberté) de nous soumettre au choix de l’autre. Seulement voilà. Donner sa liberté c’est la supprimer et pour qu’elle survive à ce don, il faut la reprendre pour la redonner une nouvelle fois. Se donner une fois pour toutes ce serait, en se soumettant à l’autre, transformer l'amour en asservissement : « Je t’aime encore parce que je me suis engagé à t’aimer » ironise Sartre.
Et en effet. Le serment d’amour ne peut être qu’éternel (amour-toujours), puisqu’il est don inconditionnel de soi (= de sa liberté). Mais pourtant, il faut qu’il n’engage pas plus d’une minute, d’une seconde ; dans le souffle qui vient de le dire il est déjà reparti, la liberté qui vient de se donner s’est reprise… pour se redonner : Dis-moi que tu m’aime. - Je t’aime. - Oh, oui ! Redis-le…
Paradoxe d’un don qui se détruit dans l’instant où il se réalise : voilà ce qui explique la platitude du dialogue amoureux : voilà aussi pourquoi, comme dit le poète « il n’y a pas d’amour heureux ».

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