Monday, June 12, 2006

Citation du 13 juin 2006

De la chambre, je retrouvais toutes les frontières de ma jeunesse, la route que je ne pus franchir qu'à huit ans, le ruisseau qu'on me défendit de passer jusqu'à douze, la lisière de la forêt où je ne pus me perdre qu'à partir de quinze ans, et l'on devinait plus loin, comme les cercles d'un tronc d'arbre, toutes les autres frontières rondes, qui chaque année s'ajoutent...

Giraudoux, Simon

Qu’y a-t-il de l’autre côté de la frontière ? D’autres frontières, ou bien un monde ouvert ? Même si on laissait à l’écart le sens plutôt flou de « zone de discontinuités » (anglais : frontier) et qu’on s’en tienne à sa définition politique (anglais : border), le mot frontière poserait bien des questions.

De fait, la frontière est une limite. Comme toute limite elle peut-être envisagée du côté du limité : c’est la frontière derrière la quelle je m’abrite, la ligne de crête des Alpes, le cours du Rhin, obstacles naturels ; c’est aussi la frontière artificielle, rempart ou Ligne Maginot.

Mais la citation de Giraudoux évoque l’autre aspect : la frontière c’est ce qui est défendu ; c’est la limite vue du côté du limitant. C’est là que la frontière devient suspecte, que sa disparition relève de la revendication, même utopique. C’est contre cette frontière que les étudiants de mai 68 manifestaient : « Jouissez sans entraves ! » disaient-ils en passant à l’acte. Oui. Mais si la jouissance, c’était justement de franchir la frontière ? Nous aurions alors toujours besoin de nouvelles frontières.

La liberté ne se réduirait-elle pas alors à la libération ? Nietzsche le dit quelque part (où= ?) : nous appelons liberté le fait d’être délivré d’une des chaînes qui pèsent sur nous, comme si le fait d’être allégé d’une petite partie de notre fardeau était la seule expérience possible de la liberté.

Pour se sentir libre, il faut se délivrer ; pour se délivrer il faut être enchaîné ; il nous faut donc toujours des chaînes. Viva las cadenas ! (1)

(1) Ainsi s’achève le film de Luis Bunuel, intitulé le Fantôme de la liberté. C’est une autruche qui paraît à l’écran lorsque retentit ce cri.

4 comments:

Anonymous said...

Bonjour!
je n'ai vraiment pas le temps malheureusement de m'ébullitionner le cerveau en ce moment avec un peu de philo... préparation de concours oblige! mais j'aurais besoin de vos lumières, cependant : pourriez-vous me redonner la phrase de Kant (et son origine) qui dit (approximativement) que le bonheur n'est pas possible si la vérité et le devoir ne sont pas respectés?
(Vous avez compris, c'est relatif au sujet de philo du bac 2006!)
Merci beaucoup de votre aide!

Jean-Pierre Hamel said...

Je n’ai pas de citation résumant cette thèse, mais elle est partout chez Kant
1 - Le bonheur et la vertu sont liés ainsi que l’atteste cet extrait :
« Mais n'a-t-on pas un mot qui désignerait, non une jouissance comme le mot bonheur, mais qui cependant indiquerait une satisfaction liée à son existence, un analogue du bonheur qui doit nécessairement accompagner la conscience de la vertu ? Si ! ce mot c'est contentement de soi-même, qui au sens propre ne désigne jamais qu'une satisfaction négative liée à l'existence, par laquelle on a conscience de n'avoir besoin de rien. » (C.R.Prat, p. 127)

2 - Et la vertu est dans le respect de l’humanité, qui nous impose la véracité, comme le montre ce commentaire de Kant par lui-même, extrait de sa correspondance
« Celui qui n'est pas sincère dit des choses dont il sait pertinemment qu'elles sont fausses ; dans la *Doctrine de la vertu* cela s'appelle « le mensonge ». Aussi inoffensif soit-il, il n'est pas pour autant innocent ; bien plus, il porte gravement atteinte au devoir qu'on a envers soi-même, et qui est absolument irrémissible parce que sa transgression abaisse la dignité humaine dans notre propre personne et attaque notre manière de penser à la racine ; en effet, la tromperie sème partout le doute et le soupçon, et ôte à la vertu elle-même la confiance qu'elle inspire dès lors qu'il faut la juger d'après ses apparences."
Kant - Lettre à Mademoiselle Maria von Herbert du printemps 1792 (brouillon), qui se trouve dans la Correspondance, Gallimard p.513.
N.B. Il s’agit bien sûr de la véracité. Les élèves auront-ils trouvé le passage de la vérité à la véracité ?
3 - On retrouve ainsi le sujet du bac pour les TL :
N'avons-nous de devoirs qu'envers autrui?

Anonymous said...

Merci pour votre réponse!
J'ai pris le temps ce soir de lire cette citation du 13 juin... Je n'ai pas vu le film de L. Buñuel; mais je suis bien d'accord, la liberté est bien moins un état (dont le contenu n'est pas facile, en effet, à définir) qu'un processus, donc, une *libération*. Par conséquent, il me semble que cela corrobore ce que je disais le 31 mai à propos de la libération des femmes (ou de n'importe qui en général) : si la valeur de la liberté réside dans le processus lui-même de libération, la seule liberté qui vaille c'est celle que l'on conquière. N'est-ce pas?

Jean-Pierre Hamel said...

En fait pour Nietzsche la liberté n’est pas la libération, parce qu’elle suppose qu’on n’existe qu’à travers la volonté des autres - c’est à dire : je suis libre en tant que je lutte contre ce que les autres veulent faire de moi.
Le plus simple est de se reporter à Zarathoustra, les Trois métamorphoses. La liberté y est représentée non par le lion, mais par l’enfant
Voici un extrait du texte :
« Mais dites-moi, mes frères, que peut encore l’enfant, dont le lion lui-même eût été incapable ? Pourquoi le lion ravisseur doit-il encore devenir enfant ?
C’est que l’enfant est innocence et oubli, commencement nouveau, jeu, roue qui se meut d’elle-même, premier mobile, affirmation sainte.
En vérité, mes frères, pour jouer le jeu des créateurs, il faut être une affirmation sainte ; l’esprit à présent veut son propre vouloir ; ayant perdu le monde, il conquiert son propre monde. »