Qui est le plus sage ? Celui qui accepte tout ou celui qui a décidé de ne rien accepter ? La résignation est-elle une sagesse ?
Eugène Ionesco - Ce formidable bordel
L’auteur du Rhinocéros nous pose une question dont on devine la réponse : seule la résistance est grande, elle seule préserve l’humain en l’homme. C’est par l’acceptation, la compréhension de notre impuissance devant un pouvoir totalitaire que l’avilissement s’insinue en nous ; c’est par l’abandon, par la certitude de l’échec, que nous perdons notre âme.
On nous dira que tout cela est très convenu, que depuis que la Tragédie a été inventée, on sait qu’on devient un héros en luttant contre ce qui ne peut que nous broyer. Mais alors que dans la Tragédie il s’agit de la mise en scène de l’incommensurable écart entre les Dieux et l’homme, chez Ionesco il s’agit de montrer que l’homme est à lui-même la pire menace ; et surtout d’expliquer comment l’homme cesse d’être un homme, comment il est dénaturé non pas seulement par la faute des autres, mais aussi par la sienne.
Ainsi, pour Ionesco, il faut sortir de la triade bourreau/victime/complice. Seule demeure l’alternative choisir l’humain/choisir l’inhumain (= devenir rhinocéros). Toutes les raisons - Toutes ! - qui mènes au second choix sont également mauvaises.
Voyez Benoît XVI : à Auschwitz il déclare : « c’est la faute d’une bande de monstrueux criminels ». On dit alors : « Voilà bien l’Allemand Ratzinger qui dédouane le peuple allemand des crimes du IIIème Reich. » Mais que nous dit Ionesco ? La monstruosité n’est pas là ; elle est dans le fait que les hommes se résignent à ce que ces crimes existent. On ne peut certes se contenter de dire « Ce sont des monstres, et on n’y peut rien ». Mais il serait aussi faux de dire : « Ceux qui n’ont rien fait sont aussi coupables que ceux qui ont fait quelque chose. » Cette mode de la responsabilité et de la repentance est stérile, parce que personne n’y croit : qui donc s’imagine écrivant à la Gestapo : « Mon voisin s’appelle Lévy ? »
La vérité est ici beaucoup plus simple, et beaucoup plus percutante : être un homme, c’est avoir la liberté de penser et de vivre selon ses valeurs ; et cela dépend de chacun. Dès que je considère qu’il est normal de priver un homme - un seul et quelqu’il soit - de ce qui fait de lui un être humain ; dès que le pouvoir m’a persuadé que je dois accepter ses ordres sans les comprendre, que je dois laisser faire ; alors je suis perdu comme homme.
Ma première victime, c’est moi-même.
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