On jugerait bien plus sûrement un homme d'après ce qu'il rêve que d'après ce qu'il pense.
Victor Hugo
Quoi donc ? Je ne serais donc que la somme de mes rêves, que ces volutes de pensées qui m’échappent sans que je puisse les contrôler ? Elles me signifieraient alors même que j’ignore ce qu’elles signifient ?
N’y a-t-il pas un paradoxe à me reconnaître dans ce que je ne connais pas ? Lorsque je pense à moi-même, la première certitude qui me vient, c’est que je suis le même que celui que j’étais en m’endormant hier soir, et que cette identité n’est pas remise en question par les rêves qui se sont intercalés durant la nuit. Plus encore : je crois que je ne suis moi-même que lorsque, me réveillant le matin, je secoue la tête pour chasser les songes qui l’embrument encore, et je regagne petit à petit la « réalité », grâce au rituel du petit déjeuner.
Mais demandons à Platon ce qu’il en pense (1) ; lui, il n’a pas eu besoin de Freud pour interpréter les rêves (c’est bien sûr la réciproque qui est vraie !) : ils sont l’expression de l’âme désirante, libérée de la tutelle de la raison par le sommeil, et excitée par la nourriture ou les pensées impures de la veille. S’ils sont criminels - c’est d’ailleurs leur caractéristique principale - si nous accomplissons sans honte en rêve des actes abominables, c’est qu’en dormant nous délivrons la bête qui est en nous : nous sommes responsables de nos rêves. Dis-moi ce que tu rêves, je te dirai qui tu es. Tes rêves révèlent si tu as choisi d’être guidé par ta raison ou par ton (bas)-ventre.
Seulement, alors que Platon affirme qu’il faut dresser cette bête impure qui est en nous et nous identifier à notre esprit, Victor Hugo, lui, dit au contraire que c’est dans nos rêves que nous sommes d’avantage nous-mêmes. C’est qu’il voit en eux le produit de notre imagination : c’est elle qui est la liberté suprême de l’esprit, aptitude à créer et peut-être à entrer en communication avec les plus hautes sphères de l’être.
En tout cas les surréalistes ne diront pas autre chose.
(1) C’est dans la République, livre IX en 571a et suivants
No comments:
Post a Comment