Ce que j'appelle cristallisation, c'est l'opération de l'esprit, qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l'objet aimé a de nouvelles perfections.
Stendhal - De l’amour
Ah ! L’amour… La passion… Le coup de foudre ! Comment comprendre ce qui se passe alors ? Pour le savoir, ne demandez pas au philosophe, demandez à l’écrivain, demandez à Stendhal, il lui a même consacré un traité intitulé De l’amour. Ça s’appelle la cristallisation.
C’est un processus qui débute par l’intérêt pour la femme rencontrée ; puis vient le désir («lui donner des baisers ») ; enfin apparaît l’admiration. C’est ce troisième temps qui constitue la « cristallisation », nom choisi par Stendhal en comparaison avec les cristaux de sels qui font scintiller comme un diamant la terne brindille jetée dans la mine de sel de Salzbourg.
Il me semble que la cristallisation stendhalienne a le mérite de nous rappeler que le désir, s’il est l’alpha de l’amour, n’en est pas l’oméga. Autrement dit, il n’y a pas de passion dans l’amour sans admiration pour l’être aimé. Mais attention ; il faut que cette admiration soit non seulement exclusive, mais aussi il faut qu’elle soit excessive ; et bien sûr qu’elle soit illusoire : la vérité de la brindille sous les cristaux de sel, c’est du bois noirâtre. C’est ce qui rend cet amour si plaisant. Car il est agréable d’être aimé. Dans le texte de Stendhal, Chita, l’italienne pour la quelle un officier allemand se pâme d’amour s’écrie : « Eh bien ! monsieur, cristallisez pour moi ! ». Comprenez bien que l’interlocuteur de Chita n’est pas cet officier, et qu’il lui explique justement qu’à ses yeux, elle n’a aucun des charmes qui font s’évanouir le jeune allemand ; quel dommage !
Si l’amour rend l’être aimé si beau, il rend aussi le monde entier tributaire de lui. Tout ce qui existe doit contribuer à favoriser son existence, à en accroître la perfection. Dès lors plus personne n’existe en-dehors de ceux qui rendent hommage à la Beauté de l’Etre Aimé ! Ce qui veut dire aussi que personne ne peut plus être désiré : l’amour est exclusif. Et c’est là que les choses se gâtent.
Vous connaissez la chanson que Serge Gainsbourg a consacré à la Cristallisation ? Non ? Hé bien, voici ce qu’il dit : «C'est la cristallisation comme dit Stendhal / Ouais t'es foutu. Tu perds toutes les autres ».
Vu comme ça, c'est beaucoup moins romantique.
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