Quand on vous assure :
- C'est profond.
Répliquez donc :
- C'est creux, peut-être.
Sacha Guitry - Toutes réflexions faites
Il y a des bons mots qui se réinventent d’époque en époque : ainsi, les Goncourt avaient-ils déjà fait celui-ci dans les années 1850, à propos d’une femme : Pourquoi est-elle impénétrable ? Non pas parce qu’elle est profonde, mais parce qu’elle est creuse. Je n’ai pas l’habitude de donner la parole à ces propos misogynes, surtout quand ils démarrent sur une allusion égrillarde c’est pour cela que je ne les ai pas cités pour commentaire.
Et puis, Guitry a l’avantage de nous limiter à l’essentiel.
Prenons l’exemple du portrait (1). Voici la surface d’un visage, et voici son expression. L’important dans l’expression d’un visage, c’est sa densité, densité qui s’exprime uniquement par sa surface. Mais tout en représentant la surface du visage, le portrait renvoie malgré tout à une profondeur, et parfois à une insondable profondeur ; profondeur provenant de multiples origines, de la conscience, de la pensée, des sentiments (2). L’énigme de Joconde n'est pas dans sa profondeur, mais dans l’origine de cette profondeur.
On voit maintenant ce que c’est que le creux : c’est le degré zéro de la densité.
Au fond, la différence entre le superficiel et le creux n’est qu’une affaire de forme, et donc d’accès. Ce qui est creux - un ravin par exemple - peut être difficile d’accès. Mais il ne sera pas plus intéressant que la plaine environnante.
Ainsi, il y a des surface profondes. Ce sont celles qui retiennent notre attention par la densité de leur signification. Mais le poète se fera l’écho de cette densité en l’imageant grâce à un insondable espace.
Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire
Louis Aragon Les Yeux d'Elsa
(1) Les remarques qui suivent s’inspirent principalement du livre de Gilles Deleuze - L’image-mouvement (ch.6). On y reviendra peut-être.
(2) Voir la distinction entre visage intensif et visage réflexif dans l’œuvre de Deleuze (p. 128)
No comments:
Post a Comment