Tuesday, January 01, 2008

Citation du 2 janvier 2008

Ah, et puis je m'en fous, tenez, donnez-moi, /Avant de mourir, une dernière fois,
Du gris, que dans mes pauvres doigts /Je roule / C'est bon, c'est fort, ça monte en moi, / Ça me soûle.
Je sens que mon âme s'en ira, / Moins farouche / Dans la fumée qui sortira / De ma bouche.

Du gris - Paroles: E. Dumont, musique: F. L. Benech (interprété par : Berthe Sylva)

Alors, ça y est ?

Vous l’avez écrasée votre dernière clope ?

Non ? Pourquoi donc ? Je croyais que depuis hier fumer était devenu interdit ?

Ah !... Vous dites que c’est une conspiration des médias pour faire de la sensation là où il n’y en a pas… La cigarette n’est pas plus interdite par la récente loi anti-tabac que le foulard ne l’était dans la rue après son interdiction dans les lycées… En plus vous avez lu quelque part que Molière faisait l’éloge du tabac…

Vous n’avez pas tort, remarquez (1). Toutefois, je me dois de vous faire observer qu’avec l’allongement de la vie, vous risquez d’avantage qu’à l’époque de Molière d’être victime du tabac.

Allez, racontez-moi. Qu’est-ce qui vous empêche de vous arrêter de fumer ?... Vous ne savez pas ? Je vais vous expliquer.

Ce qui fait obstacle d’après moi au fait de s’arrêter de fumer, c’est le moment où l’on écrase la dernière cigarette. On doit avoir le sentiment d’être comme le condamné à mort qui tire sur sa dernière cigarette avant l’échafaud…

Oui. Mais surtout, il y a un fantasme assez général qui imprègne notre rapport à la cigarette : c’est l’assimilation de l’âme à la fumée de cigarette qui nous impressionne.

Je sens que mon âme s'en ira Dans la fumée qui sortira / De ma bouche. L’exhalaison de la dernière bouffée de fumée de la dernière cigarette est assimilée au dernier soupir, celui par le quel s’échappe l’âme du mourant (2).

D’ailleurs Berthe Sylva n’est pas la seule à le chanter. Jean Cocteau a aussi utilisé cette image pour figurer la mort du poète :

Jean Cocteau - Le Testament d’Orphée (1960)


(1) Sganarelle - tenant une tabatière- Quoi que puisse dire Aristote et toute la Philosophie, il n'est rien d'égal au tabac : c'est la passion des honnêtes gens, et qui vit sans tabac n'est pas digne de vivre. Non seulement il réjouit et purge les cerveaux humains, mais encore il instruit les âmes à la vertu, et l'on apprend avec lui à devenir honnête homme. Ne voyez-vous pas bien, dès qu'on en prend, de quelle manière obligeante on en use avec tout le monde, et comme on est ravi d'en donner à droite et à gauche, partout où l'on se trouve ? On n'attend pas même qu'on en demande, et l'on court au-devant du souhait des gens : tant il est vrai que le tabac inspire des sentiments d'honneur et de vertu à tous ceux qui en prennent. Molière - Dom Juan (1665)

(2) Rappelons que l’âme (la psyché) a d’abord été considérée comme un air ou un gaz immatériel circulant dans le corps. Telle est l’interprétation qu’on peut donner à la Genèse lorsque Dieu anime Adam en lui soufflant dans les narines.

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Liste des auteurs qui figurent sur le Post d’hier (de gauche à droite et de haut en bas) :

Platon, Aristote, Freud, Bergson, Augustin, Kierkegaard, Merleau-Ponty, Bachelard, Averroès, Lévi-Strauss, Sartre, Descartes, Nicolas de Cues, Bayle, Kant, Chrysippe, Rousseau, Marx, Nietzsche, Bentham, Arendt.

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