Quand un homme me vient dire qu'il ne croit rien et que la religion est une chimère, il me fait là une fort mauvaise confidence, car je dois avoir sans doute beaucoup de jalousie d'un avantage terrible qu'il a sur moi. Comment ! il peut corrompre ma femme et ma fille sans remords, pendant que j'en serois détourné par la crainte de l'enfer ! La partie n'est pas égale. Qu'il ne croie rien, j'y consens, mais qu'il s'en aille vivre dans un autre pays, avec ceux qui lui ressemblent, ou, tout au moins, qu'il se cache et qu'il ne vienne point insulter à ma crédulité.
Montesquieu - Spicilège
Qu’est-ce donc qu’être athée ? Nier Dieu ? Proclamer qu’après la mort, l’individu disparaît, comme une bulle de savon ? Que les prêtres sont des charlatans ?
Pas du tout : vous n’y êtes absolument pas. L’athée est celui qui peut tranquillement coucher avec ma femme et ma fille sans que la peur de la damnation lui coupe tous ses effets.
Avouez qu’on attendait un autre raisonnement de la part de Montesquieu. Mais aussi, peut-être se met-il ainsi au niveau de ses lecteurs. Même Dostoïevski l’a dit : « Si Dieu n’existait pas, tout serait permis » (cf. Post du 22 juillet 2006) : l’athéisme c’est d’abord et avant tout le refus de la religion, c’est à dire d’un système de prescriptions morales contrôlées par un pouvoir supérieur et qu’on ne trompe pas (voir aussi Hugo : « L’œil était dans la tombe… »). Mais c’est aussi le renoncement à un désir.
Au fond, l’athéisme pourrait fort bien coïncider avec l’attitude religieuse : il suffirait qu’il ait lui aussi un système de récompenses et de sanctions qui canaliserait les actions humaines et constituerait des barrières infranchissables : fini la licence, finies les coucheries avec la femme du voisin. Et le mieux, ce serait qu’on n’ait même pas la liberté d’y croire ou de ne pas y croire ; d’ailleurs, croire à quoi ? Il y aurait une police dont les espions vérifieraient que chacun fait ce que le devoir lui impose.
Le totalitarisme au XXème s’est néanmoins efforcé de pousser plus loin la domination des hommes en réalisant l’ambition de remplacer Dieu par une croyance en un Guide conduisant son peuple vers un avenir radieux. Système sans Dieu, il a réalisé ce tour de force de rendre la mécréance impossible, grâce à la science de la manipulation des cerveaux (là dessus voir Orwell). Tous non seulement doivent croire, mais surtout tous croient.
Montesquieu aurait aimé.
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