L'homme n'a regardé loin qu'au moment où les objets proches étant dérobés à sa vue
Alain - Les idées et les âges
Alain médite sur la voûte céleste : elle ne nous révèle son contenu que la nuit, lorsque tous les objets qui nous sont proches ont été avalés par l’obscurité. Pour voir loin, il faut ignorer ce qui fait partie de la vie quotidienne, comme Thalès dont la légende dit que, contemplant les étoiles alors qu’il marchait la nuit dans la campagne, il tomba dans un puit : il voyait ce qui est à l’infini du ciel, mais il ne voyait pas ce qu’il y avait à ses pieds ; on s'est moqué de lui. Un peu comme l’albatros de Baudelaire, le géant est incapable de vivre dans un monde de nains.
Bon, une fois que le philosophe a replié ses ailes - de géant - reste l’observation de la vie courante. Alain suppose qu’on ne peut voir à la fois près et loin : laissons aux opticiens - Atoll !!!- le soin de régler ce problème, et voyons ce qu’il en est dans notre quotidien. Avez-vous remarqué combien les gens qui téléphonent dans la rue sont étranges ? Ou plutôt, étrangers à tout ce qui les entourent : ils nous révèlent, là en public, l’intimité de leur sentiments pour leur correspondant (on en sait peut-être un peu plus que celui-ci d’ailleurs, parce que la parole peut mentir là où le visage trahit). Nous pourrions en être gênés, si nous n’étions certains que nous n’existons pas pour ces gens qui, absorbés dans leur conversation, nous ont oblitérés complètement, comme Thalès avec le puit.
Le téléphone éloigne des proches et rapproche des lointains : ce n’est pas une définition de mots croisés ; c’est le chassé croisé qui caractérise la vie d’aujourd’hui.
Certains diront qu’il y a là matière à réflexion pour une politique de la civilisation.
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