Friday, January 04, 2008

Citation du 5 janvier 2008

Malgré ce que soutiennent les riches, l'argent suffit à faire le bonheur des pauvres ; malgré ce que s'imaginent les pauvres, l'argent ne suffit pas à faire le bonheur des riches.

Jean d'Ormesson - C'était bien

Voilà une bien belle pensée. Je vous l’offre, mais elle ne me contente pas tout à fait.

Déjà, n'y aurait-il pas comme une condescendance d'aristocrate à l'égard des "pauvres" dont le petit bonheur se contenterait d'un peu d'argent, alors que les "riches" sont tout de même plus exigeants?

Certes. Mais je voudrais faire une autre remarque : Jean d’Ormesson n’a sans doute jamais connu la pauvreté. Et alors, qu’est-ce qu’un pauvre aurait à dire sur l’argent ? Aurait-il seulement envie d’en dire quelque chose ? Ceux qui raisonnent ou déraisonnent sur la fortune sont très généralement ceux qui en sont suffisamment pourvus. Même s’ils ne sont pas riches, ils ne sont pas dans la misère.

On a connu des peintres pauvres, des musiciens pauvres, des poètes pauvres. Mais a-t-on connu des philosophes pauvres ? Ou plutôt, des pauvres qui philosophaient ? Et qui philosophaient sur l’argent en plus ?

Il y en a eu un : c’est Marx. Lorsqu’il était réfugié à Londres il a connu la pauvreté. Il n’a survécu que grâce aux subsides envoyées par Engels, et néanmoins son fils est mort en partie à cause de la misère (1). En 1859, il écrit : « Je ne pense pas qu'on ait jamais écrit sur l'argent tout en en manquant à ce point ».

Qui sait ? Aurait-il écrit de si belles pages sur « l’homme aux écus » et sur « la froide loi de l’argent » s’il n’avait connu un tel dénuement ?

Seulement, cela pose encore une question : faut-il pour philosopher, avoir l’expérience de ce dont on parle ? Avoir été amoureux pour découvrir le sens de l’amour, de sa souffrance ? Avoir été malade pour trouver le sens de la maladie (2) ? Artiste pour découvrir la fonction de l’art ?...

Peut-être. En tout cas, une chose est sûre : Marx n’est pas un pauvre qui devient philosophe. Il est un philosophe qui devient pauvre.

(1) « Ma femme est malade, la petite Jenny est malade, Léni a une sorte de fièvre nerveuse. Je ne peux et je ne pouvais appeler le médecin, faute d'argent pour les médicaments. Depuis huit jours, je nourris la famille avec du pain et des pommes de terre, mais je me demande si je pourrais encore me les procurer aujourd'hui » (à Engels, 4 septembre 1852). L'un de ses enfants, Edgar, mourra d'ailleurs de faim. (source Wikipedia)

(2) Là dessus, voir Pascal et sa prière pour demander à Dieu le bon usage de la maladie.

4 comments:

Anonymous said...

"Mais a-t-on connu des philosophes pauvres ?"
Diogène le Cynique ne faisait-il pas partie lui aussi de cette catégorie ?

Jean-Pierre Hamel said...

C'est vrai : je l'oubliais celui-là.
En réalité, je cherchais une pauvreté originelle, quelque chose comme la misère de nos enfants des banlieues ou des bidonvilles.
Mais après tout peut-être Diogène en était-il

Djabx said...

Il me semble que la question n'était pas seulement de savoir s'il avait existé des philosophes pauvres (et vice versa) que des philosophes pauvres qui philosophaient sur l'argent.

Pour revenir à votre citation, je pense que ce que Jean d'Ormesson cherche à nous dire, n'est pas tant le fait qu'il faille ou non de l'argent pour être heureux, mais que l'on conditionne notre bonheur par ce que nous ne possédons pas.
Comme si le fait de ne pas être heureux était forcement la faute exclusive de notre manque de quelque chose (ici l'argent).

Ceci dit, je suis bien d'accord que de manière générale, le manque de nourriture ou d'un toit est autrement plus préoccupant pour notre survie, que le manque du dernier portable à la mode.

Dans cette optique, je vous invite à lire le bon article de wikipedia sur la pyramide des besoins; il présente la pyramide des besoins de Maslow, mais aussi les limites de ce modèle.

Jean-Pierre Hamel said...

Jean d'Ormesson cherche à nous dire, n'est pas tant le fait qu'il faille ou non de l'argent pour être heureux, mais que l'on conditionne notre bonheur par ce que nous ne possédons pas.

- C’est bien sûr vrai - à condition de rectifier la citation de d’Ormesson et dire : « les pauvres _s’imaginent que _l’argent ferait leur bonheur »

lire le bon article de wikipedia sur la pyramide des besoins; il présente la pyramide des besoins de Maslow

- Merci pour cette référence que je ne connaissais pas. En laissant de côté les limites du modèle - et en particulier les limites culturelles - il me semble que le vrai problème est celui de l’effet des étages supérieurs sur les étages inférieurs (alors que Maslow suppose qu’on ne passe àl’étage supérieur qu’après avoir satisfait aux exigences des étages inférieurs : c’est plus qu’évident que « l’estime de soi » l’emporte très souvent sur le « besoin de sécurité » ; et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. Je suppose que cette pyramide est utile d’un point de vue statistique, et donc elle n’a donc pas de valeur pour l’individu.