Saturday, March 15, 2008

Citation du 16 mars 2008

Passant à Vitry-le-François, je pus voir un homme, que l'évêque de Soissons avait nommé Germain en confirmation, lequel tous les habitants de là ont connu et vu fille jusques à l'âge de vingt-deux ans, nommée Marie.

Montaigne - Essais I, 21 (cf. aussi le Journal de voyage en Italie, septembre 1580)

Que s’est-il passé à Vitry-le-François, pour que Marie devienne Germain? En lisant ce qui suit (cf. Annexe), on apprend qu’alors qu’elle sautait, les attributs virils « se produisirent », et qu’elle changea de sexe.

Des commentaires de cette citation, on en trouve sur le Net (en voici un) ; si nous commencions par celui de Montaigne ?

Montaigne (comme on peut le lire infra) considère que l’imagination - on dirait aujourd’hui le fantasme - de la bissexualité est si forte qu’elle porte avec elle la certitude que les filles sont réellement aussi des garçons (1). L’imagination nous donne à croire que ce que nous désirons existe effectivement, au point que nous finissons par le trouver dans la réalité : on aura compris que ce que nous trouvons alors n’existe sûrement pas, mais que justement, c’est là la force de l’imagination, que de nous faire confondre nos désirs et la réalité.

Quel est donc ce désir ? Effacer la frontière entre les sexes, faire que Marie devienne Germain tout en restant Marie ? Que l’hermaphrodite décrit par Platon dans le Banquet devienne une réalité ? Peut-être, et c’est vrai que le héros de cette histoire se nomme Marie-Germain. Mais outre que ce personnage après sa transformation est strictement viril, le désir dont nous parle Montaigne est celui des femmes de devenir des hommes, et donc de quitter définitivement leur féminité. Et compte tenu de ce qu’était à l’époque le statut de la femme par rapport à celui de l’homme, on le comprend facilement. L’histoire regorge d’exemple de femmes qui se travestissaient en homme pour bénéficier des avantages qui leur étaient réservés.

Il y a toutefois un exemple bien troublant : c’est celui de Jeanne d’Arc. On dira qu’elle était une femme-soldat, qu’elle ne s’était jamais faite passer pour un homme, et qu’elle exhibait même sa féminité, au point que les contemporains voyaient une preuve du caractère miraculeux de sa mission dans le fait que les soudards qui l’environnaient n’avaient jamais tenté de la violer, lorsque, ajustant sa cuirasse, elle leur laissait apercevoir ses tétins.

Mais la virginité de Jeanne-la-Pucelle la situe en dehors de la féminité comme en dehors de la virilité. Je crois que le désir dont il faudrait parler ici est d’un autre ordre : c’est celui de ne plus avoir de sexe du tout - ni masculin, ni féminin.

- Etre un ange.

(1) D’ailleurs j’ai lu quelque part qu’effectivement Ambroise Paré supposait que les organes sexuels des hommes étaient présent chez la fille mais restaient internes (un peu comme les petits garçons dont les testicules ne sont pas « descendus »).

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Annexe.
« Passant à Vitry-le-François, je pus voir un homme, que l'évêque de Soissons avait nommé Germain en confirmation, lequel tous les habitants de là ont connu et vu fille jusques à l'âge de vingt-deux ans, nommée Marie. Il était à cette heure-là fort barbu et vieil, et point marié, Faisant, dit-il, quelque effort en sautant, ses membres virils se produisirent; et est encore en usage, entre les filles de là, une chanson, par laquelle elles s'entravertissent de ne faire point de grandes enjam­bées, de peur de devenir garçons, comme Marie Ger­main. Ce n'est pas tant de merveille que cette sorte d'accident se rencontre fréquent ; car, si l'imagination peut en telles choses, elle est si continuellement et si vigoureusement attachée à ce sujet, que, pour n'avoir si souvent à rechoir en même pensée et âpreté de désir, elle a meilleur compte d'incorporer une fois pour toutes cette virile partie aux filles. »

MontaigneEssais I, 21

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