Tout vrai langage est incompréhensible.
Antonin Artaud - Ci-gît 1947
N.B. On prendra ici le terme de langage comme désignant non pas la fonction qui permet de parler (comme quand on évoque le « centre cérébral du langage »), mais bien l’usage de cette fonction dans un cas déterminé (comme quant on dit : « il va falloir un langage plus châtié »)
N’est-il pas paradoxal de partir sur une pareille citation quand on prétend communiquer ses réflexions sur l’incommunicabilité ? Comment Artaud pouvait-il croire à ce qu’il disait, dès lors qu’il écrivait pour être lu ? Et comment reconnaître le vrai langage : n’importe quoi d’incompréhensible en serait-il un ?
Je crois que toutes ces questions se résolvent dès qu’on songe à ce qui se passe lorsque nous lisons une œuvre littéraire. On dit parfois qu’il faut du temps pour « entrer dans un roman » ; parfois au contraire, on apprécie tel livre, et puis à peine l’a-t-on refermé qu’on l’a oublié, parce qu’il ne nous a rien apporté… C'est bien parce qu'il peut - il doit - y avoir une certaine distance entre le "langage du roman" et le "langage quotidien"
On dit (qui ? J’ai oublié, justement) que tout roman « véritable » devrait être lu comme si il était écrit dans une langue étrangère. C’est peut-être cela qu’Artaud voulait dire : la narration, la pensée, les mots, sont des créations, qui n’ont qu’un rapport ténu avec le langage courant. Non pas que ce soit nécessairement hermétique ; mais parce que ce sont des œuvres de l’esprit humain, tout cela doit être quelque chose qui enrichit notre expérience d’une façon ou d’une autre. Que cela vaille aussi pour les mots ne fait que renvoyer aux mécanismes de la création des énoncés dans la parole
Les philosophes sont habitués à cette situation, eux qui doivent poser explicitement le sens de leur concept et la position de départ de leur pensée. Les poètes n’ont pas à le faire : la poésie n’existe que si elle est langage créateur (1). Dans le cas des romans, la situation est plus ambiguë : comme on l’a dit, le roman de kiosque de gare est écrit comme le journal. Mais dès qu’on devient plus ambitieux (et il n’est pas nécessaire d’aller jusqu’à Proust pour trouver des exemples), alors il nous faut un peu de temps pour « entre dedans ».
(1) On se rappelle que poésie vient du verbe grec « poïeïn » qui signifie aussi créer. Le poète est le créateur-type.
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