Nous devons proportionner le châtiment, non au crime qui est grand, mais au criminel qui est petit.
Victor Hugo - Lors du procès de Joseph Henry (Choses vues
Aujourd’hui, où on proclame que la minorité n’est plus une excuse et qu’on doit condamner le responsable d’un délit de la même façon, qu’il ait 13 ans ou 18 ans, qui donc souscrirait à cette déclaration humaniste ?
Mais d’abord de quel châtiment parle-t-on ? A quoi sert-il ? Qui peut le mesurer et à partir de quel étalon ?
S’agissant de la sanction pénale : quelle est sa juste mesure ?
1 Il y a quatre points de vue possibles pour déterminer le châtiment :
- celui de la victime, qui constitue la justice compassionnelle, dont nous avons parlé récemment. Le châtiment est alors la vengeance de la victime, ou au moins le moyen pour elle de « tourner la page » (aux U.S.A., la peine de mort est infligée au coupable pour que les victimes puissent faire leur travail de deuil).
- La Loi, qui mérite d’être protégée des délits commis à son encontre. Le châtiment est alors fonction de la majesté de la Loi, selon son rang dans la constitution, ou selon la noblesse du Législateur (Dieu, le Roi - le régicide était le crime le plus grave sous l’Ancien régime : Cf. le supplice de Damien). Le supplice a pour rôle d’illustrer la majesté de la Loi
- On peut aussi considérer que, comme le dit Victor Hugo, c’est le coupable qui soit déterminant. Il doit, non seulement être en état de comprendre la peine qui lui est infligée (être éligible à la sanction comme disent si poétiquement les juristes), mais encore, si la faute et le fautif ne font qu’un, que la sanction soit proportionnée au criminel.
Un quatrième point de vue, résultant des deux précédents peut encore être envisagé ; le châtiment met en jeu alors :
- Le but escompté par la punition, selon qu’on espère réinsérer le coupable dans la société ou au contraire qu’on souhaite le bannir à tout jamais.
2 Conséquence quant à l’étendue du châtiment.
Dans le premier cas, la sanction est illimitée, ou du moins ne prendra fin que quand la victime s’estimera dédommagée.
Dans le second la sanction est mesurée, elle est même prédéterminée : elle descend sur le coupable, sans que le juge n’ait à se prononcer (1)
Dans le troisième, elle sera fonction de la nature du coupable, par exemple fixer une amende selon la fortune du contrevenant.
Dans le quatrième, la sanction est d’abord la mise à l’écart du coupable, le refus de vivre avec lui. Les prisons se comprennent aussi comme des peines de relégation (peine qui existait autrefois dans notre code pénal, et qui venait parfois redoubler la peine du bagne).
Il faut relire Pierre Legendre et Lévi-Strauss : Legendre affirme que notre obsession de mettre à l’écart le criminel, fait écho à notre inquiétude de commettre nous-mêmes le crime qu’il a commis : « Parce que, à chaque crime, à chaque meurtre, nous sommes touchés au plus intime, au plus secret, au plus obscur de nous-mêmes: un bref instant nous savons que nous pourrions être celui-là, le naufragé, un meurtrier. A chaque crime, à chaque meurtre commis, il nous faut réapprendre l’interdit de tuer. » (2)
Quant à la réinsertion, c’est Lévi-Strauss qui nous explique comment les sauvages des plaines d’Amérique du Nord savent - bien mieux que nous - réintégrer dans leur communauté le coupable après l’en avoir chassé (3).
De toute façon, si la sanction est graduelle, la réintégration doit intervenir à un moment où à l’autre.
(1) C'est le triomphe de la liberté, lorsque les lois criminelles tirent chaque peine de la nature particulière du crime. Tout arbitraire cesse; la peine ne descend point du caprice du législateur, mais de la nature de la chose; et ce n'est point l'homme qui fait violence à l'homme.
Montesquieu Esprit des lois, Livre XII, chapitre 4, la suite à lire ici, p. 86
(2) Pierre Legendre, L’homme en assassin.
(3) Dans Tristes tropiques, A lire ici, page 162-163
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