Monday, March 10, 2008

Citation du 11 mars 2008

Les choses importantes ne se disent jamais.

Michele Mari - Tout le fer de la tour Eiffel (traduit de l’Italien)

Belle citation, n’est-ce pas ? Vous allez sans doute la recopier - à l’encre violette s’il vous plaît - dans votre cahier de citation.

Seulement voilà : vous avez fait des rubriques pour vous y retrouver et vous ne savez pas si vous devez la mettre dans la partie consacrée à la linguistique ou dans la psychologie. Que faire ?

Comme mon jeune alias (Docteur-Philo, vous connaissez ?) a traité un sujet voisin récemment, je laisserai ces approches savantes de côté pour m’en tenir à une approche plus intuitive : quand est-ce que nous parlons de ce qui compte vraiment dans notre vie ? Posé autrement, la question pourrait être : est-ce que nous ne pourrions pas éviter de tant parler, puisque ce que nous disons est inessentiel ?

Du genre :

- Allo ? Tu es où ? Sur le trottoir de Galeries Lafayette ? Ecoute, je suis pas loin, on peut se voir ? Tu es pressée… Non, je n’ai pas parlé à ma femme, je le ferai demain. Dis-moi, comment tu t’es coiffée ? Et ton chemisier bleu ciel, tu l’as mis ? Tiens, tu te photographies et tu m’envoies de suite la photo ? D’accord ?

Voilà je vous avais dit qu’on serait au raz du quotidien aujourd’hui : c’est fait.

Alors, pourquoi donc ne disons nous jamais les choses importantes ?

- Parce qu’elles nous troublent, en nous mettant au contact de ce qui nous met en jeu vraiment ; le divertissement (au sens pascalien) voilà ce qu’il nous faut pour vivre tranquille.

- Parce qu’en les disant, nous les faisons exister avec plus d’acuité ; et en les disant à d’autres, nous les faisons exister une fois de plus (1).

- Parce qu’en les pensant (et comment les dire, même à nous-mêmes, sans les penser), nous en prenons clairement conscience.

Tenez, faites une exercice : prenez votre beau cahier et votre porte-plume à l’encre violette ; vous allez y écrire quelque chose de vraiment important pour vous, que ce soit un événement ou le résultat d’une de vos entreprises. Qu’est-ce que ça vous a fait ?

Quoi ? Vous protestez parce que vous avez abîmé une page de votre cahier ? Dites-vous que ça sera comme une citation que vous n’aurez qu’à signer de votre nom - ou d’un pseudo...

Ou alors c’est que vous aurez écrit la première page de votre journal intime.

(1) Comme Phèdre (acte 1, sc. 3 - cf. post du 25 juin 2006)

Quand tu sauras mon crime et le sort qui m’accable

Je n’en mourrai pas moins, j’en mourrai plus coupable

2 comments:

Anonymous said...

- Allo ? Tu es où ? Sur le trottoir de Galeries Lafayette ? Ecoute, je suis pas loin, on peut se voir ? Tu es pressée… Non, je n’ai pas parlé à ma femme, je le ferai demain. Dis-moi, comment tu t’es coiffée ? Et ton chemisier bleu ciel, tu l’as mis ? Tiens, tu te photographies et tu m’envoie de suite la photo ? D’accord ?

> Je trouve au contraire que ces supposées fadaises ne sont pas si inessentielles. Même si le sens ne s'y dévoile pas explicitement, on comprend bien que ce qui s'exprime ici, c'est l'envie de passer du temps avec quelqu'un d'aimé (ou de désiré) ; ce qui, à mon avis, puisque nous nous avérons des animaux sociaux, est l'essentiel de notre existence.
Que ceux qui n'ont jamais hésité avant de proposer à une personne désiré de sortir ensemble me jettent la première pierre.
Bien cordialement. J'espère que me propos vous seront assez clairs.

Jean-Pierre Hamel said...

Que ceux qui n'ont jamais hésité avant de proposer à une personne désiré de sortir ensemble me jettent la première pierre.
-- Quand l'inessentiel est en réalité le déguisement de l'essentiel...
C'est vrai : j'ai ici même soutenu la thèse de Kierkegaard selon la quelle le vrai séducteur est celui qu'on n'aperçoit pas comme tel.
Reste donc à distinguer l'inessentiel-essentiel (dont on vient de parler) de l'inessentiel de contournement ou d'évitement, celui dont j'avais l'intention de faire ici la description.