Il n'est pas étonnant qu'on ait tant d'antipathie pour les gens qui s'estiment trop : c'est qu'il n'y a pas beaucoup de différence entre s'estimer beaucoup soi-même et mépriser beaucoup les autres.
Montesquieu – Mes pensées
Allez, bande de vicieux, c’est le moment de votre leçon de morale.
Avouez que cette citation vous touche. Confessez que le mépris des autres est l’autre face de l’estime de vous-mêmes. Que les autres sont petits quand vous les voyez depuis votre grandeur…
Certes, Montesquieu, qui est un homme bien élevé, vise ceux qui s’estiment trop. On pourrait même admettre que c’est une mesure de la juste estime de soi : celle qui ne nous mène pas à mépriser les autres. Je m’estime à ma juste valeur quand je ne me compare pas aux autres. Ma valeur est qualitative et non quantitative. La valeur n’est pas ce qui peut être mesuré en plus ou en moins sur une échelle graduée, elle est un absolu dont on peut simplement dire qu’elle existe ou qu’elle n’existe pas. Tel artiste a du talent – et il est artiste ; ou il n’en a pas – et il n’est pas artiste. Et non pas ; cet artiste est plus talentueux que tel autre.
Soit. L’estime de soi aurait ainsi deux formes. L’une qu’on vient de décrire et qui repose sur une claire conscience de soi.
L’autre (celle que critique Montesquieu) qui ferait de l’estime la forme extérieur et dérivée du narcissisme : puisqu’on est si aimable, il doit bien avoir une raison. Et tiens : oui, nous sommes admirables et aimables, parce que nous avons de la valeur.
Mais alors, pourquoi mépriser les autres ?
Serait-ce qu’ils nous refuseraient cette admiration ? Et qu’en plus ils pousseraient l’outrecuidance jusqu’à exiger que nous les admirions plus que nous ne nous admirons nous-mêmes ? (1)
Ou alors faudrait-il admettre qu’à coté du narcissisme, il y aurait en nous une autre pulsion fondamentale : la haine de l’autre – dont le mépris ne serait qu’une forme dérivée ?
(1) C’est cette perversion de l’amour de soi que Rousseau décrit comme source de l’amour propre, source de bien des conflits entre les hommes.
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