Sans l'ignorance, point de questions. Sans questions, point de connaissance, car la réponse suppose la demande.
Celui qui sait "tout" ne sait rien, car l'acte du savoir ne se produit pas en lui ; il manque d'une condition essentielle. Celui-là n'agit pas qui ne manque point de quelque chose.
Paul Valéry – Cahier I
Les amateurs de paradoxes citent souvent Socrate, l’homme savant de ne rien savoir (1) ; l’ignorance voilà la vraie science.
Valéry a son tour fait l’éloge de l’ignorance, ajoutant ce petit brin de séduction sans le quel une citation serait vite oubliée : vous tous, les ignorants, vous qui avez rejeté la fatigue de l’apprentissage, c’est vous qui avez eu raison, contre les prétentieux qui affirment tout savoir.
L’ignorance est bien plus précieuse que la science, car elle est l’excitant qui engendre la recherche, donc l’acte du savoir.
Observons d’abord que Valéry pose comme condition du savoir qu’il soit en acte, et on pourrait supposer qu’il voit cet acte dans l’effort de repousser ses frontières. Soit, mais pas seulement. On peut en effet admettre qu’un savoir théorique une fois possédé n’est encore pas grand-chose s’il ne s’applique pas à des cas concrets. Et que toute application d’un savoir théorique à un cas pratique suppose un minimum de recherche pour établir cette connexion qui ne serait donc pas donnée dans la science établie. Ainsi le médecin qui doit chercher à adapter son cours de pathologie au cas du malade en chair et en os qui est devant lui est bien forcé d’admettre que ce qu’il a appris ne lui suffit pas tout à fait.
Observons ensuite – et surtout – qu’il y a deux types d’ignorance :
- celle dont parle Valéry qui est une sorte de « trou » dans le savoir, quelque chose qui nous manque et dont on perçoit les contours très nettement. Mon savoir va « jusque là », mais au-delà, je ne sais plus. C’est l’ignorance consciente.
- Mais il y a aussi l’ignorance inconsciente, l’ignorance que j’ignore, soit parce que je crois savoir, soit parce que je ne sais même pas qu’il y a quelque chose à savoir.
C’est ce dernier type d’ignorance que pourchassent les philosophes par leurs incessantes questions, s’efforçant de convaincre leurs interlocuteurs qu’il y a quelque chose à chercher là où ils passent sans s’arrêter. Ainsi, Socrate avec son précepte d’ignorance n’est-il pas un sceptique. Car il est celui qui, après avoir dit « Je sais que je ne sais rien », tarabuste ses interlocuteurs pour qu’ils lui enseignent leur science.
(1) … je suis le plus savant de tous les athéniens, parce que je sais que je ne sais rien. Voir Post du 28 juillet 2008
No comments:
Post a Comment