L'ouvrier qui a donné à ses enfants son art pour héritage, leur a laissé un bien qui s'est multiplié à proportion de leur nombre. Il n'en est pas de même de celui qui a dix arpents de fonds pour vivre, et qui les partage à ses enfants.
Montesquieu – De l'esprit des lois (XXIII, ch. 29)
On l’a déjà dit : le partage du savoir n’a rien à voir avec celui des biens matériels : il ne diminue pas au cours de l’opération alors que c’est le cas pour le second. (1)
On a dit aussi (Pierre Bourdieu) combien l’héritage des savoirs et des idées était source d’inégalités sociales, et combien les fils de pharmaciens ou de médecins avaient plus de facilité que les autres pour réussir leurs études. On pourrait d’ailleurs en dire autant des musiciens ! (2)
Mais voilà : le monde a bien changé depuis quelques décennies, et si les artisans continuaient à enseigner leur métier à leurs enfants, ceux-ci risqueraient fortement de crever de faim avec ça. Les méthodes, les outils, les machines et le savoir faire qui va avec ont changé radicalement – et la seule certitude qu’on ait c’est que ça va continuer.
Au fond, c’est plutôt le laboureur de La Fontaine qui avait raison : au lieu d’enseigner le métier de laboureur à ses enfants, il leur enseigne que le travail est un trésor.
Oui, mais voilà : c’est bien gentil de dire qu’il faut travailler pour gagner sa vie (3) ; ce qui serait vraiment malin, ce serait de dire quel métier il faut apprendre pour ne pas se retrouver au chômage dix ans plus tard.
Autrement dit, les réponses de nos auteurs à cette question sont comme des essais d’artillerie : Montesquieu est trop précis, c’est un coup trop court. La Fontaine, trop général, c’est un coup trop long.
Et le coup au but ? On le réalisera peut-être en disant qu’il faut apprendre à se former soi-même, à juger et à comprendre par soi-même.
A part la philosophie, je ne vois pas ce qui pourrait nous donner ça.
(1) On a en effet déjà évoqué la différence entre le partage qui divise et celui qui multiplie. Mais c’était avec un autre exemple.
(2) Ceux qui ont mis leurs enfants au conservatoire le savent : les professeurs considèrent que ceux dont les parents ne pratiquent pas un instrument de musique n’ont presque aucune chance de réussir.
(3) C’est le propos de Montesquieu au début du chapitre 29 (quelques lignes plus haut).
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