C’est pour mieux goûter la vie que je change son goût…
Patrick Chamoiseau – Solibo magnifique
Solibo est le héros du roman de Patrick Chamoiseau. A Fort de France, Solibo est un conteur qui subjugue les femmes et les hommes, et qui a même un pouvoir sur les animaux. Il est aussi un peu un clochard, mais surtout il pratique un art irremplaçable : celui de la parole.
Toutefois, le voilà qui meurt un jour d’une « égorgette de la parole », étouffé par les mots qu’il n’a pas pu dire parce qu’il n’y avait plus personne pour les écouter… Jolie parabole pour illustrer notre époque avide de communication, où pourtant nos lèvres trouvent de moins en moins d’oreilles pour les écouter… (1)
Mais revenons à notre histoire : en plus de l’art de parler Solibo a un autre talent : celui de vivre et de rendre heureux ceux qui le suivent.
Solibo sait vivre : il sait que pour vivre il ne faut pas de routine, pas de répétition, pas d’habitude. Par exemple, il est impossible de savoir où le trouver, avec qui, se livrant à quelle occupation. Même s’il vient tous les jours à midi Chez Chinotte pour prendre son punch, le voilà qui entre une fois par la porte, une autre fois par la fenêtre, une autre fois par derrière…
Eloge du changement, éloge de la superficialité, éloge du plaisir sans cesse renouvelé parce que sans cesse différent. Nous avions fait il y a un an (voir ici) l’éloge de l’inconstance à la suite d’une citation de Le Clézio : Le Clézio, lui aussi venu des îles – est-ce un hasard ?
Le plaisir de l’inconstance n’est pas ici le plaisir un peu sadique de la séduction. C’est un art de l’effleurement qui suit le contour des choses pour en humer le nectar, et qui en toute liberté vole vers d’autres fleurs. C’est l’art de butiner.
Nous voici loin de la sagesse antique, loin aussi de Nietzsche et de son éternel retour.
Mais nous voici aussi proche des pierres qui roulent parce qu’elles ne veulent surtout pas amasser de mousse.
Car, c’est comme ça que – contrairement à ce que dit la chanson – we can get satisfaction. (2)
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(1) Et Facebook me direz-vous avec ses millions d’amis ? Est-ce que ça ne dément pas ces allégations grincheuses ? Certes, ça réchauffe le cœur. Mais ça ne change rien à notre propos : Chamoiseau dans son livre oppose fortement l’art de la parole à celui de l’écriture. La parole est seulement parole proférée, elle inclut bien sûr tout ce que la personne qui parle ajoute à son message par ses mimiques, le ton de sa voix, ses postures etc. Et aussi – et surtout faudrait-il dire – le lien intime, qui relie le « parleur » à son auditoire.
Facebook qu’on le veuille ou non, c’est de l’écrit. Donc du solitaire.
(2) Paroles anglaises : ici – Difficulté à suivre en anglais ? Pas de Problème : voyez ici
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