Friday, June 30, 2006

Citation du 1er juillet 2006

Je n'ai rien d'autre à offrir que du sang, du travail, des larmes et de la sueur.

Winston CHURCHILL - Allocution à la Chambre des Communes, 13 mai 1940 (1)

C’est trois jours après le déclenchement de l'offensive allemande du 10 mai 1940 que Churchill prononce cette phrase à l’intention de ses compatriotes. Ce n’était certes pas un discours électoral, mais c’est tout de même un constat que peu d’hommes politiques aurait le courage de faire aujourd’hui. Notez en effet que rien dans cette phrase ne laisse espérer autre chose que la souffrance, détaillée avec soin.

Car pour vaincre, il faut que chacun soit près au sacrifice, jusque dans le plus petit détail. On raconte que lorsque les restrictions de consommation de charbon ont été imposées, l’eau chaude a été de ce fait rationnée ; les britanniques ont alors tracé dans leur baignoire la limite à ne pas dépasser (ferions-nous de même ?). Façon de dire que Churchill s’appuie sur le sens pratique de ses concitoyens. A quoi bon appeler au sacrifice du sang ? Personne ne saura ce que ça veut dire, et on partira de toute façon « la fleur au fusil ». En revanche, s’il faut se contenter de 200 grammes de viande par semaine, là c’est du concret ; ça on sait ce que c’est.

Dans un pays libre, les politiques doivent faire comme Churchill : dire la vérité, le « parler vrai » (Rocard), pas de langue de bois. Mener les hommes sans leur dire où ils vont, ça relève de la psychologie de la domination. Le code de la route interdit pour un véhicule de s’intercaler dans un convoi. Pas étonnant, lorsqu’il s‘agit de militaires : seul celui qui est en tête sait où il va ; les autres suivent.

Mais nous aimons le divertissement, comme le rappelle Pascal. C’est justement parce qu’il nous permet d’oublier où nous allons, même si ça ne nous empêche pas d’y aller.

(1) Extrait de cette allocution : « Vous me demanderez : que comptez-vous faire ? Je vous répondrai : faire la guerre sur terre, sur mer et dans les airs... Quel est votre but ? : La victoire.. »

Thursday, June 29, 2006

Citation du 30 juin 2006

«L’amour, c’est l’infini à la portée des caniches.»
Céline
Après la cristallisation (Cf. Citation du 28 juin), le rut. Après Stendhal, Céline. Où allons-nous ?
On aurait dû le fusiller Céline. On aurait dû. Pas seulement parce que c’était un collabo hostile à Pétain parce qu’il le trouvait trop tiède ; pas seulement parce que c’était un antisémite pire que les nazis ; mais aussi parce qu’il a osé humilier le plus noble sentiment humain : l’amour. Quel Salaud ! Au mur… Douze balles dans la peau…
Pas besoin de réfléchir pour écrire ça. Et si on réfléchissait ?
L’amour, chez le caniche relève de la mécanique des instincts : vous avez vu comme il est capable de confondre votre jambe avec sa femelle ? Donc l’amour chez l’homme déjà c’est ça. Mais c’est aussi l’infini du sentiment qui vous soulève, vous emmène dans un monde sublime, où peut-être même vous rencontrerez le divin. Ce que dit Céline c’est que cet infini là, c’est l’effet de la testostérone qui inonde vos veines (1) dès que l’occasion s’en présente ; c’est le fruit du prurit de la chair.
Alors, c’est là qu’on a envie de le fusiller, Céline. Blasphème ! Insulte à ce que l’humanité a de plus sacré !
Alors il va falloir fusiller aussi Freud, et tous les psys qui vont avec. Un seul exemple : la sublimation. La sublimation, c’est bien l’infini à la portée des caniches, sauf que les caniches n’auraient pas besoin de créer des activités socialement valorisées pour éprouver de la jouissance : pas besoin d’être musicien, pas besoin d’être sœur Thérésa, pas besoin d’être Héloïse aimant Abélard même après son petit accident. Le caniche n’en a pas besoin pour jouir, mais l’homme si. Toute la différence est là.
L’amour, chez l’homme, c’est le caniche plus l’infini.
(1) Le dames traduiront dans leur propre système physiologique

Wednesday, June 28, 2006

Citation du 29 juin 2006

« …quand on se trouve en danger et qu’on ne peut pas faire autrement, il est légitime d'utiliser le bien d'autrui pour subvenir à ses propres besoins ; on peut le prendre, ouvertement ou en cachette, sans pour autant commettre réellement un vol ou un larcin. »
Thomas d’AQUIN, Somme théologique, II-II, q. 66, art.7
Une supposition, vous êtes Thomas d’Aquin (LE Saint Thomas), tranquillement assis dans le métro entrain de relire une fois de plus les Seconds Analytiques (1). Et vous entendez ceci :
« Bonjour madame, bonjour monsieur,
Je m’appelle Roger et je sors de prison.
Ça fait huit jours que je dors dehors parce que je n’ai pas de logement. Je n’ai pas de travail non plus, et je n’ai pas d’argent.
Je vais passer parmi vous, si vous voulez bien me donner une petite pièce pour m’aider à sortir de cette mauvaise passe.
Merci. »
Qu’allez-vous faire ? Lui donner de l’argent ? Mais en avez vous ? Supposons que non (vous avez déjà donné votre bourse à d’autres miséreux qui pullulement dans cet endroit à Paris). Alors vous allez lui dire :
« Roger, toi aussi tu es un enfant du Seigneur. Tout ce qui a été crée l’a été pour l’humanité entière, donc pour toi également. Tu as faim ? Sers-toi chez Lidl et sors sans payer. Tu as froid ? Vas chez Tati et rhabille-toi dans une cabine d’essayage. Tu n’as pas de logement ? Prend un pied de biche et installe-toi dans un logement inoccupé.
Et si on te le reproche (car des infidèles pourraient préférer la loi de l’argent à la loi du Seigneur), dis-leur que tu n’as rien volé, que tu t’es contenté de prendre ce qui t’appartenait déjà, ce qui t’était destiné par la Divine Providence. Et dis-leur que c’est pour ça que tu t’es servi au Lidl et pas chez Fauchon. »
(1) Voyons bande d’ignorants ! C’est un traité d’Aristote.

Tuesday, June 27, 2006

Citation du 28 juin 2006

Ce que j'appelle cristallisation, c'est l'opération de l'esprit, qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l'objet aimé a de nouvelles perfections.

Stendhal - De l’amour

Ah ! L’amour… La passion… Le coup de foudre ! Comment comprendre ce qui se passe alors ? Pour le savoir, ne demandez pas au philosophe, demandez à l’écrivain, demandez à Stendhal, il lui a même consacré un traité intitulé De l’amour. Ça s’appelle la cristallisation.

C’est un processus qui débute par l’intérêt pour la femme rencontrée ; puis vient le désir («lui donner des baisers ») ; enfin apparaît l’admiration. C’est ce troisième temps qui constitue la « cristallisation », nom choisi par Stendhal en comparaison avec les cristaux de sels qui font scintiller comme un diamant la terne brindille jetée dans la mine de sel de Salzbourg.

Il me semble que la cristallisation stendhalienne a le mérite de nous rappeler que le désir, s’il est l’alpha de l’amour, n’en est pas l’oméga. Autrement dit, il n’y a pas de passion dans l’amour sans admiration pour l’être aimé. Mais attention ; il faut que cette admiration soit non seulement exclusive, mais aussi il faut qu’elle soit excessive ; et bien sûr qu’elle soit illusoire : la vérité de la brindille sous les cristaux de sel, c’est du bois noirâtre. C’est ce qui rend cet amour si plaisant. Car il est agréable d’être aimé. Dans le texte de Stendhal, Chita, l’italienne pour la quelle un officier allemand se pâme d’amour s’écrie : « Eh bien ! monsieur, cristallisez pour moi ! ». Comprenez bien que l’interlocuteur de Chita n’est pas cet officier, et qu’il lui explique justement qu’à ses yeux, elle n’a aucun des charmes qui font s’évanouir le jeune allemand ; quel dommage !

Si l’amour rend l’être aimé si beau, il rend aussi le monde entier tributaire de lui. Tout ce qui existe doit contribuer à favoriser son existence, à en accroître la perfection. Dès lors plus personne n’existe en-dehors de ceux qui rendent hommage à la Beauté de l’Etre Aimé ! Ce qui veut dire aussi que personne ne peut plus être désiré : l’amour est exclusif. Et c’est là que les choses se gâtent.

Vous connaissez la chanson que Serge Gainsbourg a consacré à la Cristallisation ? Non ? Hé bien, voici ce qu’il dit : «C'est la cristallisation comme dit Stendhal / Ouais t'es foutu. Tu perds toutes les autres ».
Vu comme ça, c'est beaucoup moins romantique.

Monday, June 26, 2006

Citation du 27 juin 2006

Ce qui caractérise l'homme d'action, c'est la promptitude avec laquelle il appelle au secours d'une situation donnée tous les souvenirs qui s'y rapportent ; mais c'est aussi la barrière insurmontable que rencontrent chez lui, en se présentant au seuil de la conscience, les souvenirs inutiles ou indifférents.

Bergson - Matière et mémoire. (Chapitre III)

Bergson décrit une histoire à trois personnages :

- d’un côté, l’impulsif : il est actif, mais il ne tient aucun compte de l’expérience passée. Il est tout entier dans le présent.

- de l’autre, le rêveur : celui-ci, il n’agit pas, tout son temps est occupé à revivre les souvenirs passés, sans rapport avec la situation présente, uniquement pour le plaisir.

- entre les deux, l’homme d’action : c’est sa description qui est contenue dans le texte cité ; à la fois actif, donc dans le présent et en prise avec le passé ; ses souvenir sont bien là, mais entrelacés avec le vécu au lieu d’en être coupé. C’est la règle pour toute action, nous tous nous agissons ainsi.

Sommes-nous pour autant des « Hommes d’action » ? Nullement. Car pour associer le passé au présent, il faut que seul le souvenir associable au présent soit rappelé dans la mémoire ; et cela nous le faisons tous dans l’hésitation, l’incertitude, le doute, le calcul des causes et des conséquences. L’homme d’action est celui qui fait ce choix sans avoir à peser ses souvenirs, sans avoir pris le temps de les évaluer, de les trier. Dans l’urgence de l’action, l’intuition est la règle. L’homme d’action est l’exact contraire d’un ordinateur.

Ainsi se trouvent réglées quelques questions posées aux philosophes, du genre : La machine pense-t-elle ? L’ordinateur est-il un cerveau électronique ? Peut-on parler d’« intelligence artificielle » ? Toutes ces questions sont balayées par Bergson dans le cas de la prise de décision : là où la machine égrène toutes les informations engrangées dans sa mémoire, analysant item par item l’ensemble des solutions déjà connues, et créant toutes les combinaisons possibles à partir de là, l’homme n’examine que les possibilités utiles pour lui. Il ne perd pas son temps à les choisir ; il ne les cherche pas, il les trouve (1).

(1) Voir la Citation du 28 avril

Sunday, June 25, 2006

Citation du 26 juin 2006

Ça m’en touche une sans faire bouger l’autre.
Jacques Chirac (1)
On va dire : « Encore une bidasserie du Président. On le sait qu’il aurait voulu faire carrière dans l’armée. Elle est inutile, cette citation lourdingue d’un adepte du bazooka.»
Mais pourquoi cette formule qui se veut dénonciation de l’insuffisant, de l’insignifiant, de l’inessentiel, ne serait-elle pas aussi considérée comme un éloge de l’effleurement. La légèreté n’est elle pas le signe même de la qualité ?
Bien sûr, la femme légère « comme la plume au vent » est mal considérée ; mais entre la légèreté des mœurs et celle de l’esprit, il y a un fossé. D’ailleurs la légèreté, synonyme d’aisance et de délicatesse, est reconnue comme la valeur apportée par les femmes, au point que c’est la ballerine qui est devenue le symbole de la grâce. Nous sommes donc dans un affrontement entre la ballerine et le soudard.
Mais pas seulement. Ce dont on parle ici, c’est de la légèreté de l’effleurement. Car, il ne suffit pas d’être léger ; il faut encore toucher. Qu’est-ce qui peut « toucher l’une » de J. Chirac, sans « faire bouger l’autre » ? Vous pensez bien que je ne vais pas me risquer sur ce terrain-là. Prenez une comparaison moins compromettante, tenez : le mikado (ouf !). Il s’agit bien de prendre une baguette sans faire bouger l’autre ; ça nous mène à la maîtrise du corps, au contrôle du souffle, à la domination de soi-même: c’est l’esprit qui guide la main, mais aussi qui domine les émotions, tout ce qui est du domaine des « craintes et tremblements ». Bref. Tout l’esprit zen est derrière ça.
Allons plus loin : si c'est l'esprit qui effleure, il n'est pas seulement celui qui nous habite ; il est aussi celui qui nous visite, venu d'ailleurs, de plus éloigné, de plus haut. ...
Concluons : il y a une métaphysique de l’effleurement, qui combine la légèreté matérielle comme condition de la spiritualité (c’est la brute qui est épaisse) ; et la rencontre « effleurante » par laquelle une réalité supérieure se manifeste à celui qui reste en bas. Nous sommes entre l’effraction brutale du profane dans le sacré, et l’aspiration mystique vers Dieu ; l’effleurement se réalise au point de tangence entre le transcendant et l’immanent.
métaphysique de l’effleurement : comment faire comprendre ça à un admirateur des combats de Sumo ?
(1) Attribution couramment admise. Wiki a consacré un article à cette expression. Voir ici.



Saturday, June 24, 2006

Citation du 25 juin 2006

Quand tu sauras mon crime, et le sort qui m'accable,
Je n'en mourrai pas moins, j'en mourrai plus coupable.
Racine - Phèdre, Acte I, scène 3
La transparence vantée par Rousseau dans la citation évoquée hier peut avoir des conséquences épouvantables. Tel est le ressort de la citation d’aujourd’hui.
Petit rappel. Phèdre est amoureuse de son beau-fils, Hyppolite. Cet amour est incestueux donc c’est un crime abominable, dont Phèdre n’est pas responsable (puisque c’est une passion voulue par les Dieux), mais qui fait d’elle une coupable, c’est à dire une héroïne de tragédie. Car le héros tragique est justement celui qui n’est pas responsable de ce qui le rend pourtant pleinement coupable (1). Au début de la pièce, elle se consume d’amour et se meurt de honte, et sa confidente - Oenone - s’acharne à lui faire dire pourquoi elle est ainsi. Phèdre lui répond « … j’en mourrai plus coupable » : l’aveu redouble la faute au lieu de l’effacer, par lui Phèdre est coupable deux fois ; une fois à ses propres yeux ; une autre fois aux yeux d’Oenone. Tel est donc l’effet de la transparence.
Devons-nous croire Racine ? En fait il y a un paradoxe dans l’attitude la plus courante dans ce domaine. Car beaucoup qui ne livreraient jamais à leurs proches leurs pensées secrètes, le feront sans aucune difficulté à un inconnu de rencontre qui n’a même pas le prétexte d’être un médecin ou un psy. C’est là qu’on comprend l’importance de la confidence : elle modifie le réel en agissant sur le confident. Quand bien même celui-ci ne pourrait - ou ne voudrait - rien faire (c’est le cas d’Oenone), en lui révélant notre nature secrète on l’amène à modifier l’image qu’il a de nous (« Qu’est-ce tu me déçois… Vraiment je ne te croyais pas comme ça ! »). Là est la supériorité de l’anonyme sur le confident : il n’a aucune image de nous, nous ne pouvons le décevoir.
Toutefois… Si vous avez battu votre femme, ou tripoté la gamine de vos voisins, évitez de le raconter même à un inconnu. Parce qu’il a sûrement une certaine idée de l’honnête homme que vous êtes sensé être.
(1) On se rappelle peut-être que nos ministres se disent volontiers « responsables mais pas coupables » : c’est qu’ils ne sont pas des héros, et surtout pas tragiques.

Friday, June 23, 2006

Citation du 24 juin 2006

Quiconque a le courage de paraître ce qu’il est, deviendra tôt ou tard ce qu’il doit être.
Rousseau - Lettre à Sophie d'Houdetot
Cette phrase accumule les paradoxes :
- je suis ce que je suis, et en même temps je ne le suis pas, puisque je dois encore devenir moi-même (= ce que je dois être) ;
- mon apparence au lieu d’être une image pour autrui est d’abord ma réalité.
Mais au lieu de raisonner, faisons ce que Rousseau nous conseille : comprenons avec notre cœur (= intuition) : si je veux m’améliorer, c’est sous le regard des autres que j’y parviendrai (1). C’était une banalité en ce XVIIIème siècle d’affirmer que les grandes villes étaient corruptrices par l’anonymat qu’elles assuraient - qu’on relise Rétif de la Bretonne, et son Paysan perverti : seul le contrôle exercé par les voisins et les parents, vérifiant que les bonnes mœurs sont respectées peuvent obliger l’individu à une conduite morale.
Mais la paradoxe revient : comment, à supposer que je sois un débauché, deviendrais-je meilleur si je me montre tel que je suis ? Molière ne dit nulle part que Tartuffe peut devenir un vrai dévot, même pas après avoir été démasqué. C’est qu’il faut ajouter l’intention morale ; ce qui est requis ici, c’est la visée du devoir être : si Tartuffe démasqué n’est pas meilleur que Tartuffe masqué, c’est qu’après comme avant il n’a pas l’intention de devenir meilleur. En revanche, si vous êtes sincère en ne voulant plus succomber à vos vices (dites-moi, c’est la gourmandise ou c’est l’onanisme ?), alors il faut vous faire aider ; et tout comme vous dénudez votre corps devant votre médecin, dénudez donc votre âme devant vos amis (et les autres si affinité). Car c’est sous le regard d’autrui que vous consentirez les efforts nécessaires pour devenir vertueux.
Mais alors, pourquoi donc Sartre a-t-il écrit « L’enfer, c’est les autres » ?
Réponse demain.
(1) Rousseau qui fut dans sa jeunesse secrétaire de l’ambassadeur de France à Venise se rappelle peut-être ici que c’est sous des masques anonymes que les fêtes y dégénéraient en débauches.

Thursday, June 22, 2006

Citation du 23 juin 2006

La France, aimez-là ou quittez-la.

Anonyme

- Toi, la Vache tu n’aimes pas l’herbe du pré ? Tu trouves qu’elle serait meilleure en Suisse ? Hé bien, vas-y, on ne veut pas te garder, quand même que tu es vache montbéliarde.

Et toi, le chien, tu déprimes, tu n’aboies plus joyeusement sur les pas de ton maître, tu as honte de lui, il ne t’emmène donc pas à la chasse ? Si ? Il est mauvais chasseur ? C’est toi le mauvais chasseur, allez, dehors, vas voir de l’autre côté de la Manche si les Anglais sont de meilleurs chasseurs. On ne veut plus de toi, même si tu es épagneul breton.

Quant à toi, le français moyen, toi qui râles contre l’Etat, les impôts, la police, toi dont le béret basque est tellement enfoncé sur les yeux que tu n’y vois même plus, où pourrais-tu aller ? En Suède, voir si la sociale démocratie est meilleure ? Au Danemark, vérifier si leur modèle est plus fécond ?

- Oui, mais moi le Corse, qu’est-ce que je devrais dire ? Vos instituteurs on cherché à détruire notre langue. Par votre soutien à la politique des clans, vous avez favorisé les trafics mafieux, qu’aujourd’hui vous dénoncez. Et c’est pas fini. Vous avez envoyé vos pieds-noirs dans mes campagnes, vos Légionnaires se sont installés dans mon maquis, vos touristes sont venus montrer leurs fesses sur mes plages.

Si c’est ça la France, alors je ne l’aime pas. Et moi le Corse, moi je dis « Francesi fora » (1).

- Il fallait dire ça à Napoléon ; aujourd’hui, c’est un peu tard. La France, c’est vous tous - et c’est toi aussi le Corse - , c’est vous qui l’avez faite, vous qui en êtes propriétaires, vous qui l’incarnez. Tiens, je vous laisse les clés du pouvoir. Montrez-nous ce que vous savez faire.

La France, aimez-là ou quittez-la, ou faites-en autre chose.


(1) « Français dehors »

Wednesday, June 21, 2006

Citation du 22 juin 2006

Pour Dieu, l'imaginaire c'est une vue de l'esprit. La fiction ça le dépasse !

Raymond Devos - Extrait du sketch L'artiste

Dieu peut-il être dépassé ? Faut-il brûler de Devos pour blasphème (ce qui reviendrait aujourd’hui à vouloir brûler ses cendres...) ?

Le débat est le suivant : peut-on dire sans blasphème que Dieu est dépassé par quelque chose qui serait accessible à la créature ? Et en effet : Dieu est créateur omnipotent ; tout ce qu’il conçoit, il peut le réaliser ; tout ce qu’il peut réaliser il le réalise - du même coup qu’il le conçoit. Ça ne vous suffit pas ? Ajoutez donc : Dieu est par définition infiniment bon, donc tout ce qu’il conçoit est bon, et donc il le réalise car il serait contradictoire pour un être parfait de ne pas créer ce qui peut ajouter une perfection à la Création. La fiction est donc inconnue de Dieu, puisqu’elle se définirait comme ce qui ne peut pas s’inscrire dans le réel.

Vérification : vous êtes Dieu (je sais c’est un gros effort d’imagination, mais faites-le - juste un instant) ; vous imaginez un animal avec 4 pattes : vous le créez. A 3 pattes : vous le créez aussi. A 2 pattes : idem. Mais à 1 patte ? Absurde, un tel animal n’aurait aucune chance de survie. C’est une imperfection, et puisque vous êtes Dieu vous ne pouvez pas imaginer un tel animal, aussi imparfait, puisque pour vous (= pour Lui) imaginer et créer, c’est pareil. Voilà la fiction : c'est ce qui excède le pouvoir de Dieu, ce dont il ne peut avoir l’idée simplement parce que ce serait moins bien que la réalité.

Conclusion : Dieu n'est donc dépassé que par ce qui reste en retrait de Lui ; sa perfection est illimitée, puisque ce qu'elle ne peut créer ne pourrait l'être que par l’imperfection qui y est contenu.

La question est-elle réglée ? Pas du tout !

Certains (comme Descartes) diront que la perfection n’est autre que ce que Dieu a voulu, autrement dit que la norme de la création est interne à la création elle-même.

D’autres (comme Leibniz) diront que Dieu imagine tout ce qui est imaginable, et qu’il crée ce qui comporte le plus de perfection possible (1).

Selon moi, Raymond, tu as tort, Dieu n’est pas dépassé. Jésus a dit : « Je suis le chemin et la vérité et la vie » (Jean 14,6) : si Dieu est le chemin, il est la route : il ne peut donc pas être dépassé. De tout façon, quand on a dépassé la route, c’est qu’on est perdu !

(1) Voir la Citation du 12 février

Tuesday, June 20, 2006

Citation du 21 juin 2006

Le mourant est dans la situation d'un homme qui sort de chez soi sans la clef et ne peut plus rentrer parce que la porte fermée ne s'ouvre que du dedans.
Vladimir Jankélévitch - La mort
Vous voulez rire ? Lisez le commentaire 1. Vous voulez pleurer ? Lisez le commentaire 2
Commentaire 1
- Mimine, tu m’entends ? Oh ! Mimine ! Ouvre-moi la porte, j’y arrive pas.
- Tais-toi ivrogne, tu as encore perdu ta clé dans ta saoulerie.
- Ouvre-moi s’il te plaît, je suis enfermé dehors.
- T’ouvrir ? Sûrement pas ! Va dessouler ailleurs et ne reviens qu’après..… Et puis, tiens, tant que t’y es, ne reviens jamais, ça sera bien mieux.
- OUVRE-MOI, VITE !
- Inutile de crier comme ça, tu vas ameuter les voisins, ils vont encore appeler la police.
- Ouvre s’il te plait, Mimine, il pleut maintenant, j’ai froid…
- Ah Ah ! Il pleut… Monsieur l’ivrogne a peur de l’eau on dirait ! Bien fait pour toi, reste-y.
- J’ai froid je te dis, si je reste là je vais attraper mal.
- « Attraper mal » ! Pas possible, il y a un Dieu pour les ivrognes, comme l’autre fois que tu as failli rouler sous les roues du camion.
- Arrête, je te promets de plus recommencer, c’est la dernière fois que je sors avec mes copains du foot.
- Je te crois pas, à chaque fois c’est la même chose, c’est des promesses d’ivrogne.
- Oh làlà qu’est-ce qu’il pleut. Et en plus, il y a du vent, je grelotte. Ouvre vite sinon je vais y rester.
- Crève donc !
Commentaire 2
Le mourant est un vivant qui n’habite plus dans sa maison. Il est dans ce « no-man’s land » que constitue l’en-deça de la mort, ce moment où l’être vivant se détache du monde et des relations humaines qui le constituent.
C’est Heidegger (1) qui a conceptualisé l’appartenance au monde par le terme d’habiter (bauen) : « Habiter est la manière dont les mortels sont sur terre », ce qui suppose qu’on n’habite que l’édifice que nous avons construit, que nous avons fait croître et au quel nous prodiguons nos soins.
Le mourant est donc celui qui ne peut plus contribuer à cette croissance, qui se trouve en quelque sorte « exproprié » de son domicile, qui lui devient étranger parce qu’avec la disparition de ses forces vitales, s’évanouit l’existence active qui l’unissait aux autres et au monde familier qu’il partageait avec eux.
Mais en même temps, on n’en est encore qu’à l’en-deça de la mort, puisque la parole et la pensée étant encore disponibles, il est possible d’être conscient de sa situation et de la communiquer aux autres. La mort est ainsi l’exclusion de la vie, un peu comme une expulsion. Voilà pourquoi les consolations épicuriennes (du genre « la mort n’est pas redoutable parce qu’elle n’est que le néant ») restent sans portée. Avant la mort, il y a le sentiment d’expulsion irréversible du monde des vivants, dont pourtant on sent encore la chaleur, accroissant ainsi la conscience de cette déréliction.
Mais quand commence-t-on à être un mourant ? Ne serait-ce pas dès qu’on ressent cette exclusion ? Et vous-même….
… vous criez « Stop ! » parce que vous trouvez ça déprimant ? Tant pis pour vous je vous avais prévenu ; mon « Commentaire 2 », il fallait pas le lire.
(1) La référence à Heidegger à propos d’une citation de Jankélévitch surprendra ceux qui savent qu’il avait jeté l’interdit sur Heidegger dans le Département de morale qu’il dirigeait à la Sorbonne. Elle ne surprendra pas ceux qui, ayant lu son œuvre auront constaté qu’il utilise fréquemment cette philosophie, sans la nommer (en particulier, justement dans son ouvrage sur La mort)

Monday, June 19, 2006

Citation du 20 juin 2006

Le problème n'est plus de faire que les gens s'expriment, mais de leur ménager des vacuoles de solitude et de silence à partir desquelles ils auraient enfin quelque chose à dire.

Gilles Deleuze Pourparlers, pp. 176-177

On parle trop… Le 22 janvier j’expédiai un post vengeur contre tous ceux qui s’époumonent pour ne rien dire. Un clou qui était déjà bien enfoncé par Gilles Deleuze ainsi qu’en témoigne ce texte dont j’extraie la citation du jour. Pour lui, dire vrai n’est absolument pas une raison de parler ; encore faut-il que ça nous apprenne quelque chose de neuf, bref, que ça ait un intérêt.

Voilà. Supposez que vous discutiez avec un ami. Celui-ci s’anime et vous dit : « Tu te trompes. Je te jure que tu es dans l’erreur la plus totale, et je vais te dire pourquoi. » Bien. Vous n’êtes pas très content, mais vous allez lui répondre, discuter, polémiquer. Maintenant, supposez qu’il vous dise : « Oui, oui, bien sûr…Mais ce n’est pas cela qui est important, et puis ce que tu dis là, on le sait depuis des siècles. » Là vous êtes vexé, on vous reproche non pas d’avoir dit des bêtises, mais d’avoir parlé alors que vous n’aviez rien à dire. Vous allez peut-être le réfuter et montrer l’originalité bien cachée de vos propos. Mais ce faisant vous admettez que pour justifier d’ouvrir la bouche, il faut faire avancer la discussion.

Shannon (ingénieur de la Bell & Howell Cie) découvrait en 1947 que la meilleure tarification téléphonique devrait porter sur la quantité d’information transmise. Il ajoutait que l’information, dans un message, était cette part d’imprévisibilité qui fait qu’il m’apprend quelque chose ; ainsi, ce matin, j’allume la radio, j’apprends que l’équipe de France de football a fait un résultat nul contre la Corée. Admettons que ce soit imprévu : c’est une information. Maintenant, je laisse la radio allumée ; le même message revient cinq fois dans la même heure. Ce n’est plus une information, justement parce que le contenu est le même.

« Solitude et silence » dit Deleuze sont les conditions pour avoir quelque chose à dire : nous n’avons plus qu’à nous faire moine.

Bref ; moins on parle et plus on a de choses à dire.

Sunday, June 18, 2006

Citation du 19 juin 2006

"Il n'y a que les huîtres et les sots qui adhèrent."

Alain

Il n’y a pas longtemps, notre premier ministre apostrophait les journalistes agglutinés à la sortie de l’immeuble, les comparant à des « moules attachées à leur rocher »(1). On voit avec Alain que ce n’est pas un compliment. Qu’est-ce à dire ?

Alain est un philosophe-citoyen, politiquement engagé (parti radical), il n’est pas le philosophe du retrait de la vie publique, il n’est pas non plus l’épicurien soucieux de sa tranquillité. Mais ce qu’il refuse c’est de devoir suivre la ligne du parti, c’est de perdre son pouvoir d’examiner et de critiquer. Par exemple, Alain, c’est le philosophe qui voit dans le droit de vote le pouvoir de congédier et donc de contrôler les hommes au pouvoir. Selon lui, les gouvernants seront soucieux du bien des citoyens, non pas forcément par loyauté, mais au moins parce qu’ils savent que leur mandat peut leur échapper s’ils ne respectent pas leurs engagements.

Adhérer à un parti, c’est donc perdre ce pouvoir ; mais il n’y a pas de démocratie sans délégation du pouvoir. Je ne peux voter contre (donc me détacher) qu’en votant pour (donc en adhérant) ; ainsi, qu’importe les motifs qui font que Jacques Chirac a été élu par 86% des citoyens en 2002 ? Il a le pouvoir. Il en fait ce qu’il veut, dans la limite de la Constitution bien entendu.

Au fond ce qu’il y a de pernicieux dans la formule d’Alain, c’est qu’elle pousse dans la direction d’un scepticisme politique. J’entends par là l’attitude qui consiste à voir dans l’action politique une manipulation (le mot est à la mode) par la quelle les politiciens, ambitieux ou incapables, trahissent les électeurs. Contre quoi on sait ce que suggèrent les partis totalitaires, et à quelle dérive cela conduit.

(1) A vrai dire, on avait d’abord cru qu’il les avait traités de fonctionnaires, mais ça n’était qu’une erreur due à l’acoustique des lieux

Saturday, June 17, 2006

Citation du 18 juin 2006

Moi, Général de Gaulle, actuellement à Londres, j'invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j'invite les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d'armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, à se mettre en rapport avec moi.

Général de Gaulle - Appel du 18 juin 1940 (1)

Pétain / de Gaulle. A côté du Messie, l’homme d’action. A côté du vieillard flageolant, le militaire viril. A côté du Prophète, le politicien au regard clairvoyant.

Ce qui frappe dans cette citation, c’est le souci de précision de l’énumération : comme si tout n’était qu’une affaire d’organisation. Aujourd’hui, l’Appel du 18 juin se serait terminé par l’indication de l’e-mail du général à Londres. Au cœur de la débâcle, le général est celui qui pense en termes militaires, comme si la question de sa légitimité politique n’était pas en cause (du moins : pas encore).

On a beaucoup glosé sur l’extraordinaire audace du général qui aurait prétendu représenter la France à lui tout seul à partir de juin 40. Je pense que c’est plutôt Pétain qui a prétendu incarner la France (voir citation d’hier). De Gaulle pense que chaque français est en charge de l’honneur et de l’avenir de la France ; quant à lui (Moi, Général de Gaulle), il n’est pour le moment qu’un coordonnateur dont la légitimité est délimitée par sa capacité à fédérer les forces française encore libres.

On se réclame toujours de l’appel du 18 juin comme d’un symbole de l’esprit de résistance contre l’oppression, contre le déshonneur. On peut aussi y voir une éclatante, une tranquille confiance dans la citoyenneté, qu’il nous serait bien utile de garder à l’esprit. Aujourd’hui, être citoyen c’est ne pas jeter de papier gras par terre, ramasser les déjections de son chien et se soucier des petits vieux en cas de canicule.

En 1940, être citoyen c’est agir comme si on était en charge de l’avenir du pays.

(1) A ne pas confondre avec l’affiche qui a fait suite (« La France a perdu une bataille ! Mais la France n’a pas perdu la guerre !) qui a été placardée à partir du 3 août 1940. (voir le texte). Le texte cité ici a été repris dans « l’appel du 22 juin » audible à la même adresse.

Friday, June 16, 2006

Citation du 17 juin 2006

« Je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur. »

Philippe Pétain - Discours à la Nation 17 juin 1940

Au sein de la tragédie de la capitulation, voici la bouffonnerie de ce vieillard calamiteux qui s’offre en victime sacrificielle, afin que, grâce à l’équation Moi-Pétain= la France, celle-ci soit épargnée. Que ce corps brisé par l’âge devienne le dernier rempart de l’intégrité du territoire et de la souveraineté nationale, voilà qui nous ferait tordre de rire si l’épouvantable réalité de la défaite et de l’occupation n’était là pour nous en dissuader.

Mais Philippe Pétain n’est pas un bouffon tragique ; il nous conduit bien au-delà : certes il joue sur le charisme comme source de pouvoir, mais plus encore il s’approprie la légitimité divine dont jouissaient les rois capétiens. Et il est encore bien plus que ces rois, lieutenants de Dieu sur terre : le maréchal, victorieux de Verdun, devient le Rédempteur qui se sacrifie pour la Patrie. Il va ainsi racheter les pêchés d’un peuple qui a préféré écouter les mensonges des dégénérés judéo-marxistes plutôt que les appels virils de la droite nationale.

Imaginez aujourd’hui le tableau. Notre chef d’Etat, au lieu de nous dire : je suis le rassembleur qu’il vous faut, venez donc chez moi, dans mon grand salon il y a la lumière de la démocratie et la chaleur de la prospérité, nous dirait : « En moi bat le cœur de Condorcet, de Rousseau et de Saint-Just( !) : Je suis le Rempart de la Démocratie, Je vous protègerai de la dictature fasciste. Je garanti votre sécurité, Je sauvegarderai votre liberté, et Je vous rendrai le pouvoir confisqué par des politiciens corrompus. »

« Dieu est mort » disait Nietzsche ; et il enchaînait : « Hélas », sous entendant : car voici revenu le temps des idoles. Staline ; Mao ; Hitler ; le Maréchal ; etc. ; le XXème siècle a été le siècle des idoles ; espérons que le XXIème sera celui de l’homme.

Thursday, June 15, 2006

Citation du 16 juin 2006

Tout est bien qui n’a pas de fin.

Jules Laforgue

Il n’y a pas que les philosophes qui affectionnent les paradoxes ; les poètes aussi.

Ce qui ne dure pas ne serait-il pas bon ?

Exemple 1 : les petits plats style « nouvelle cuisine » ont une saveur délicate et sont pourtant fort parcimonieux ;

Exemple 2 : l’explosion du plaisir est l’affaire d’un instant ;

Exemple 3 : la joie est toujours un sentiment à la fois délicieux et transitoire (Spinoza disait qu'elle correspond au passage d’un niveau de perfection à un autre plus élevé)

Pourquoi suffirait-il que ce que nous vivons nous apparaisse comme indéfini pour être bon ?

Exemple : si j’ai mal aux dents, faut-il me dire qu’il suffirait que cela dure éternellement pour être bon ?

Dira-t-on que ce n’est pas parce que ça dure que ça devait être bon, mais c’est parce que c’est bon que ça devrait durer ? Même si la formule de Laforgue conduisait à cette interprétation, son épouvantable banalité nous interdirait d’en faire état.

En fait seule l’idée de l’éternel retour nietzschéen aurait une valeur ici. Tout ce qui dure n’est pas bon ; en revanche l’amour de la vie réclame l’éternité, et la seule éternité accessible à l’entendement fini qui est le notre est la réitération indéfinie (source possible de l’idée de cycle des réincarnations).

Tout ce qui est bon appartient à la vie.

La vie ne doit pas avoir de fin (éternel retour)

Donc tout ce qui est bon n’a pas de fin.

Wednesday, June 14, 2006

Citation du 15 juin 2006

Le matin, [les hommes] sentaient la faim et devenaient anarchistes. Mais le soir ils sentaient la fatigue et la peur, et ils aimaient les lois.

Alain Propos (Extrait du sujet-texte philo Bac 2006, série ES)

A l’origine de la société on suppose des besoins : la faim est un besoin, la nécessité de dormir quant on est fatigué en est un autre. Depuis Platon on suppose que les besoins vitaux ont conduit les hommes à s’associer pour se répartir les tâches afin de mieux produire ce qui leur est nécessaire. Alain suppose que la quête de nourriture n’est pas à l’origine de la société ; mieux même : elle devrait disperser les hommes sur un territoire de chasse plutôt que de les rassembler en un seul lieu. Voilà pourquoi il dit qu’alors on n’a que faire des lois, entendez de la société politique.

Mais dès que la nécessité de dormir les domine, les hommes sont sans défense durant leur sommeil ; ils ont alors besoin de se protéger les uns les autres, et l’organisation sociale et politique devient nécessaire. La nuit, l’homme qui dort cesse d’être l’anarchiste qu’il était durant le jour.

La loi est justifiée par le besoin de sécurité, et Montesquieu ne disait pas autre chose…. Seulement il ne faut pas dissocier la sécurité et la production des ressources, ces deux facteurs sont inséparables, et le besoin de sécurité n’est pas seulement le besoin de dormir en paix ; il est lié aussi à la richesse. Le vagabond qui dort sur la plage peut bien évidemment craindre pour sa vie ; mais qui aurait intérêt à le tuer ? Le cadre opulent qui sommeille sur un parking derrière le volant de sa BMW aurait par contre quelques raisons de craindre : on a vu des assassinats d’automobiliste à seule fin de s’emparer de leur voiture. Ça a même un nom : le car jacking.

Tuesday, June 13, 2006

Citation du 14 juin 2006

Le vieux rêve des gens honnêtes : pouvoir tuer quelqu'un en état de légitime défense.

Alphonse Allais

Entre la victime et son assassin, il y a l’épaisseur de la loi. Le second jouit illégalement de la mort du premier qui - s’il le pouvait - en jouirait légalement. La légitime défense est cette jouissance légalisée, et le désir sadique de détruire la vie d’un homme qui souffre habite même les « gens honnêtes ».

D’une certaine manière, la punition du coupable ressemble à cela : plus qu’une vengeance, c’est une jouissance fournie à la victime qui voit souffrir son agresseur. C’est du moins ce que pense Nietzsche, qui rapporte qu’à Rome le criminel était « donné » à la victime (ou à sa famille), qui dès lors pouvait en faire ce qu’elle voulait : le tuer, le réduire en esclavage, le persécuter ou même le libérer.

Pour moi, d’avantage qu’un sentiment sadique, je trouve que ce qui se manifeste ici c’est le désir de toute puissance. La toute puissance, ce n’est pas dominer un élément naturel, par exemple faire sauter un pan entier de montagne en appuyant sur un bouton. Je ne tire aucun plaisir particulier à pousser le volume de la sono ; mais j’aimerais vraiment déchaîner de ma baguette la puissance du Philharmonique de Berlin.

La toute puissance, c’est donc la maîtrise de l’homme, non pas pour le tuer (encore que ce soit une de ses formes), mais pour le faire agir selon sa volonté. Le droit Romain voyait dans cette puissance la plus haute compensation au dommage subi, et la vie du criminel était donc la réparation la mieux adaptée, sûrement pas en tant qu’on la supprimerait, mais justement dans la mesure où elle durerait.

Nous on a inventé les Travaux d’Intérêt Collectif. C’est peu, mais on est sur la voie !

Monday, June 12, 2006

Citation du 13 juin 2006

De la chambre, je retrouvais toutes les frontières de ma jeunesse, la route que je ne pus franchir qu'à huit ans, le ruisseau qu'on me défendit de passer jusqu'à douze, la lisière de la forêt où je ne pus me perdre qu'à partir de quinze ans, et l'on devinait plus loin, comme les cercles d'un tronc d'arbre, toutes les autres frontières rondes, qui chaque année s'ajoutent...

Giraudoux, Simon

Qu’y a-t-il de l’autre côté de la frontière ? D’autres frontières, ou bien un monde ouvert ? Même si on laissait à l’écart le sens plutôt flou de « zone de discontinuités » (anglais : frontier) et qu’on s’en tienne à sa définition politique (anglais : border), le mot frontière poserait bien des questions.

De fait, la frontière est une limite. Comme toute limite elle peut-être envisagée du côté du limité : c’est la frontière derrière la quelle je m’abrite, la ligne de crête des Alpes, le cours du Rhin, obstacles naturels ; c’est aussi la frontière artificielle, rempart ou Ligne Maginot.

Mais la citation de Giraudoux évoque l’autre aspect : la frontière c’est ce qui est défendu ; c’est la limite vue du côté du limitant. C’est là que la frontière devient suspecte, que sa disparition relève de la revendication, même utopique. C’est contre cette frontière que les étudiants de mai 68 manifestaient : « Jouissez sans entraves ! » disaient-ils en passant à l’acte. Oui. Mais si la jouissance, c’était justement de franchir la frontière ? Nous aurions alors toujours besoin de nouvelles frontières.

La liberté ne se réduirait-elle pas alors à la libération ? Nietzsche le dit quelque part (où= ?) : nous appelons liberté le fait d’être délivré d’une des chaînes qui pèsent sur nous, comme si le fait d’être allégé d’une petite partie de notre fardeau était la seule expérience possible de la liberté.

Pour se sentir libre, il faut se délivrer ; pour se délivrer il faut être enchaîné ; il nous faut donc toujours des chaînes. Viva las cadenas ! (1)

(1) Ainsi s’achève le film de Luis Bunuel, intitulé le Fantôme de la liberté. C’est une autruche qui paraît à l’écran lorsque retentit ce cri.

Sunday, June 11, 2006

Citation du 12 juin 2006

C'est, en effet, l'étonnement qui poussa, comme aujourd'hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques.

Aristote (384-322 av. J.-C.), Métaphysique A, 2, 982 b 10,

(suite du 11 juin 2006)

1 - Quelle est la couleur véritable du Caméléon ?

C’est la question de l’authenticité. Cette question n’a pas à être posée, parce que l’authenticité n’existe pas : il n’y a rien derrière les apparences, parce que l’être n’est rien d’autre que l’être-au-monde, que co-présence. Ainsi : le caméléon c’est l’animal dont la réalité est précisément d’être de la couleur de ce qui l’environne, tout comme le chat gris est un animal dont la nature est d’être sans couleur parce qu’il fait nuit.

--> Donc l’étonnement philosophique a pour effet de faire surgir la limite du questionnement.

2 - Que trouve-t-on quand on épluche un oignon ?

Eh bien on trouve précisément ce qu’on avait déjà trouvé : d’écailles en écailles, l’oignons n’est rien d’autre que cette succession de pelures. Nul noyau dur pour attester d’une existence qui se distinguerait de l’apparence, pas de cœur d’or sous le cuir épais de la brute, etc..

--> L’étonnement philosophique ne cherche pas à s’isoler du réel ; tout au contraire, s’il « ontologise », c’est dans la réalité, ce qui, après tout, est bien naturel…

3 - Peut-on passer du recto au verso d’une feuille de papier sans tourner la page ?

A cette question sans espoir, réponse inespérée : oui, c’est possible. Transformez-vous en mouche (pas comme dans le film tout de même). Avec vos petites pattes, promenez-vous sur ce ruban de papier qui, une fois tordu sur lui-même, est devenu un anneau de Moebius. Constatez que vous passez du recto au verso sans changer de côté. Pour l’explication, transformez-vous en mathématicien, et puis venez m’expliquer tout ça.

--> L’étonnement philosophique conduit en dehors de la philosophie, même si on s’y casse les dents.

4 - Qu’est-ce que ça prouve tout ça ?

Ça prouve qu’il y a toujours des questions à poser, même quand la réponse est convenue, la manière dont elle est obtenue peut être instructive. Si c’est le propre du philosophe que de s’étonner de tout, alors l’enfant est le premier des philosophes. Et l’effort qui est fait aujourd’hui pour introduire la philosophie à l’école est tout à fait justifié.

Saturday, June 10, 2006

Citation du 11 juin 2006

C'est, en effet, l'étonnement qui poussa, comme aujourd'hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques.
Aristote (384-322 av. J.-C.), Métaphysique A, 2, 982 b 10,
Vérification :
Le philosophe est celui qui se pose ce genre de question :
1 - Quelle est la couleur du caméléon ?




2 - Que trouve-t-on quand on épluche un oignon ?
3 - Peut-on passer du recto au verso d’une feuille de papier sans tourner la page ?


4 - Qu’est-ce que ça prouve tout ça ?
La réponse demain

Friday, June 09, 2006

Citation du 10 juin 2006

Le blanc sonne comme un silence, un rien avant tout commencement.

Vassili Kandinsky

Curieux d’assimiler le blanc à un « rien », lui qui, en tant que lumière blanche est « tout » - contrairement au noir. Mais si Kandinsky évoque le blanc, c’est sans doute parce qu’il est l’espace indifférencié sur le quel le tableau va naître (1).

Le silence précède donc la manifestation de la parole - ou de la musique - il en est à la fois le contraire et la condition, comme l’espace est la condition de la représentation picturale. Il ne comporte donc aucune signification, celle-ci commençant avec la parole.

C’est ce que l’on contestera à l’aide d’exemples que chacun pourra facilement compléter.

Déjà, il y a la minute de silence, qui est en soi manifestation la plus haute du respect et du recueillement. Le silence dit ce que la parole ne saurait dire ; c’est ainsi qu’on affirme qu’il est un aveu. Bien entendu tous les sentiments dans ce qu’ils ont d’authentiques relèvent plus ou moins de ce mécanisme.

Il y a aussi le silence musical, celui qui se note dans les partitions. Dans un autre registre, il y a celui aussi du public dans la salle de concert ; c’est en particulier le silence qui sépare la dernière note du moment où retentissent les applaudissements. Ces silences-là font partie de la musique, on peut même parler, comme le faisait Mozart à propos de son public de la « qualité » de son silence..

A l’inverse, le silence peut très bien n’être ni la manifestation d’un sens, ni sa condition. C’est ce qu’on relève dans des expressions telles que : « un silence de mort » ; ou « un silence stupide », celui qui ressemble au silence de la bête. A noter que ce dernier n’est pas absence de bruit, puisqu’il peut être accompagné de grognements ou de cris divers.

Alors, le silence est-il néant ? Faut-il plutôt le considérer comme une modalité de la manifestation du sens ? Probablement la vérité est-elle intermédiaire. Si le silence signifie c’est en attirant l’attention sur une autre forme de signifiance qui se passe de la parole.

« Le maître dont l'oracle est à Delphes ne dit pas, ne cache pas, mais signifie. » Héraclite Fragment 93.

(1) Voir l’exemple de Magritte (citation du 19 mars)

Thursday, June 08, 2006

Citation du 9 juin 2006

La partie la plus cérébrale du jeu - de beaucoup la plus importante - demeure invisible ; c'est donc que le muscle y sert d'écran à l'intelligence.

Pierre de Coubertin - Notes sur le football

1 - Dans le sport, il y a bel et bien contraste, voire opposition entre le muscle et l’intelligence ;

2 - Le football en est une application évidente ;

3 - C’est Pierre de Coubertin qui le dit.

Si vous ouvrez la presse de ces jours-ci, vous verrez que la quête de sens autour de la Coupe du Monde de Football bat son plein. Même les philosophes s’y collent, avec des fortunes diverses (1). C’est qu’une telle manifestation en prise avec le vécu le plus immédiat est trop riche de sens, elle est surdéterminée et on ne peut l’interpréter qu’à condition de la simplifier, avec le risque de la dénaturer.

Le baron de Coubertin attire notre attention sur l’une d’entre elle : il ne faut pas confondre le point de vue du spectateur de celui de l’acteur, et distinguer ce qui se voit et ce qui se fait.

Ainsi le jeu de football ne doit pas être compris à partir de ce qui se voit mais aussi à partir de ce qui se comprend : je vois la passe au gardien ; je comprends la tactique qui la justifie. Mais il faut aussi comprendre que cette distinction elle-même est trompeuse.

Pour éviter de dénaturer le sens du football, il faut éviter de considérer ces deux moments comme successifs, contrairement à ce que risque de faire croire cette citation. Car sa « partie cérébrale » n’a pas à s’articuler sur la partie « musculaire » ; les deux ne forment qu’un tout, l’action naît dans le même élancement que l’idée, il n’y a pas une séquence articulée comportant représentation qui se forme, puis qui s’analyse et enfin qui se réalise. Le joueur n’est pas un ordinateur, il est un être vivant pris dans une situation concrète par rapport à la quelle il réagit globalement. Il ne s’agit donc pas d’articuler une théorie sur une pratique, comme si le coach pouvait diriger le joueur depuis le banc de touche.

Le jeu de football relève ainsi de ce que les Grecs appelaient la phronèsis, c’est à dire l’aptitude à agir avec opportunité et prudence, c’est une sagesse pratique qui ne doit pas se confondre avec la sophia qui suppose la science (épistémè).

Méfiez-vous des philosophes qui ne parlent pas grec - comme disait Heidegger.

(1) Voir par exemple le n°2 de Philosophie Magazine

Wednesday, June 07, 2006

Citation du 8 juin 2006

Les choses gratuites sont celles qui coûtent le plus. Comment cela ? Elles coûtent l'effort de comprendre qu'elles sont gratuites.

Cesare Pavese

(Second commentaire - suite du 7 juin)

La gratuité est peut-être difficile à comprendre, mais elle s’affirme pourtant depuis quelques années comme une réalité qui devient de plus en plus évidente dans nos sociétés réputées pourtant pour leur égoïsme, leur « matérialisme » comme diraient certains.

Que penser en effet des journaux gratuits, tels que de « Métro » ou « 20 minutes » ? Et des Freeware ? Et - surtout - d’Internet, et de tout ce qui l’accompagne, Google et compagnie ? Voilà des faits qu’on pourra contester en soutenant qui la gratuité n’y est qu’une apparence, qu’elle ne suppose ni générosité ni donateurs, étant donné que l’offre est commerciale, et qu’elle est systématiquement rentabilisée dans la mesure où elle sert de support pour de la publicité. Certes, encore que ce soit déjà moins vrai pour Internet qui est issu de la volonté d’échanges scientifique et qui reste aujourd’hui marqué du besoin de partage.

Je dirai donc qu’il s’agit de gratuité économique, en ce sens qu’elle est sans dépense pour l’acquéreur, à distinguer de l’éthique du don qui met en jeu la volonté du donateur. Et je dirai surtout qu’elle est devenue une revendication. Oui, une revendication, que je retrouve dans la généralisation du téléchargement illégal en particulier de la musique en MP3. Entendez les protestations de ceux qui l’utilisent, devant les lois restrictives ; ils disent : les disques, c’est trop cher, la faute aux Majors. Ils disent aussi : le téléchargement est un vecteur commercial, il ne sert qu’à découvrir des musiques qu’on achètera - peut-être - ensuite. Reste que, de fait, payer est devenu incongru et que c'est la gratuité qui est légitime (1)

Jusqu’à quant allons nous accepter de payer notre numéro de Libé 1 euro 20 ?

(1) Irons-nous jusqu’à dire comme Proudhon : « La propriété c’est le vol » ? (voir citation du 17 mars)

Tuesday, June 06, 2006

Citation du 7 juin 2006

Les choses gratuites sont celles qui coûtent le plus. Comment cela ? Elles coûtent l'effort de comprendre qu'elles sont gratuites.

Cesare Pavese

Avez-vous remarqué comme la gratuité éveille la méfiance ? A quel point un courrier publicitaire tonitruant une offre gratuite apparaît comme un piège à c. ? Bien sûr, c’est trop évident pour ne pas être risible. Mais demandez à définir le don, et vous verrez comme il est difficile de ne pas le comprendre comme un échange simplement différé : donner pour recevoir. Quelqu’un comme La Roche Foucauld en a même fait l’essentiel de sa « morale » : l’altruisme consiste à donner … pour recevoir une récompense en terme d’amour propre ; même le plus pauvre a quelque chose à donner : la reconnaissance sans la quelle rien ne se ferait. Il n’y a donc pas de don « gratuit », et donc il n’y a pas de don du tout.

Voire. Ce qui est gratuit c’est soit ce qui n’a pas de motif (voir l’acte gratuit de Lafcadio le héros des Caves du Vatican de Gide), soit ce qui n’a pas de conséquence. Dans ce sens évidemment, un acte gratuit est une pure absurdité, que je me dispenserai de commenter.

L’acte peut être aussi « gratuit » en tant qu’il n’implique pas l’échange, qu’il soit économique ou humain. Là c’est plus simple (donner ce n’est pas troquer ni vendre), et plus compliqué à la fois. Car pourquoi le bonheur de donner serait-il en contradiction avec la pure générosité ? Le bonheur de donner est-il une récompense qui rendrait impure l’acte généreux ? C’est là semble-t-il que le rigorisme de La Roche Foucauld ressemble à de la misanthropie.

Demandons à Kant, lui qui en terme de rigorisme n’a de leçons à recevoir de personne. Il dirait qu’on peut éprouver du bonheur à donner, mais qu’on doit donner par devoir et non pour être heureux. Je ne dois donner que par égard pour l’humanité souffrante dont le respect motive seul ma générosité. Aucune autre condition ne doit valoir, et surtout pas la personnalité de celui qui reçoit : il suffit que ce soit un homme et qu’il souffre. Ma générosité ne doit donc pas attendre de l’autre un geste de compensation, mais seulement qu’il soit digne de l’humanité qui est en lui.

La charité chrétienne doit ressembler à cela je suppose.

Monday, June 05, 2006

Citation du 6 juin 2006

1 - « On ne commande à la nature qu’en lui obéissant. »

2 - « La nature laisse plus aisément échapper son secret lorsqu'elle est tourmentée et comme torturée par l'art, que quand on l'abandonne à son cours. »

Bacon - Novum organum

Au XVIIème siècle, la nature est conçue comme un mécanisme inexorable ; ses lois sont immuables ; on ne peut que les utiliser, les combiner pour obtenir des effets nouveaux en accord avec nos besoins. L'activisme humain doit donc être réfléchi et mesuré, limité à la recherche. Lorsqu’il s’agit de découverte, l’observation respectueuse n’est en effet plus de mise. Il faut éventrer les cadavres, briser les cailloux, dévier la lumière du soleil, en un mot contrarier la Création.

Cette ambivalence est plus que jamais en question aujourd’hui : non seulement nous contrarions la création, mais nous allons beaucoup plus loin : nous prétendons la refaire. Car, si nous nous proposons de commander à la nature, c’est bien en la transformant, en supprimant les barrières qui séparent les espèces et les genres

Exemples :

1 - Entre les carnivores et les herbivores : on fait manger de la farine de viande aux ruminants (cf. la Vache folle)

2 - Les animaux et les végétaux : par manipulation génétique on est parvenu à faire produire de l’hémoglobine à des plants de tabacs.

3 - La reproduction sexuée : le clonage reproductif permet de « bouturer » un animal comme on le ferait pour une plante.

Les alchimistes rêvaient de transmuter la matière pour obtenir de l’or avec du vil plomb. Nous savons aujourd’hui que transmuter la matière est infiniment moins difficile que manipuler la vie ; et cela aussi nous savons le faire. C’est dire que notre pouvoir dépasse la simple mise en oeuvre des lois naturelles pour imposer les notre : certes, nous n’avons pas inventé le code génétique, mais nous écrivons avec des textes que la nature n’a pas écrits elle-même.

Descartes proposait que nous devenions « comme maîtres et possesseurs de la nature » ; nous savons aujourd’hui que le « comme » est de trop.

Sunday, June 04, 2006

Citation du 5 juin 2006

On jugerait bien plus sûrement un homme d'après ce qu'il rêve que d'après ce qu'il pense.

Victor Hugo

Quoi donc ? Je ne serais donc que la somme de mes rêves, que ces volutes de pensées qui m’échappent sans que je puisse les contrôler ? Elles me signifieraient alors même que j’ignore ce qu’elles signifient ?

N’y a-t-il pas un paradoxe à me reconnaître dans ce que je ne connais pas ? Lorsque je pense à moi-même, la première certitude qui me vient, c’est que je suis le même que celui que j’étais en m’endormant hier soir, et que cette identité n’est pas remise en question par les rêves qui se sont intercalés durant la nuit. Plus encore : je crois que je ne suis moi-même que lorsque, me réveillant le matin, je secoue la tête pour chasser les songes qui l’embrument encore, et je regagne petit à petit la « réalité », grâce au rituel du petit déjeuner.

Mais demandons à Platon ce qu’il en pense (1) ; lui, il n’a pas eu besoin de Freud pour interpréter les rêves (c’est bien sûr la réciproque qui est vraie !) : ils sont l’expression de l’âme désirante, libérée de la tutelle de la raison par le sommeil, et excitée par la nourriture ou les pensées impures de la veille. S’ils sont criminels - c’est d’ailleurs leur caractéristique principale - si nous accomplissons sans honte en rêve des actes abominables, c’est qu’en dormant nous délivrons la bête qui est en nous : nous sommes responsables de nos rêves. Dis-moi ce que tu rêves, je te dirai qui tu es. Tes rêves révèlent si tu as choisi d’être guidé par ta raison ou par ton (bas)-ventre.

Seulement, alors que Platon affirme qu’il faut dresser cette bête impure qui est en nous et nous identifier à notre esprit, Victor Hugo, lui, dit au contraire que c’est dans nos rêves que nous sommes d’avantage nous-mêmes. C’est qu’il voit en eux le produit de notre imagination : c’est elle qui est la liberté suprême de l’esprit, aptitude à créer et peut-être à entrer en communication avec les plus hautes sphères de l’être.

En tout cas les surréalistes ne diront pas autre chose.


(1) C’est dans la République, livre IX en 571a et suivants

Saturday, June 03, 2006

Citation du 4 juin 2006

Si vous voulez être respecté, commencez par être respectable et, en outre, assez costaud pour imposer le respect.
Somerset Maugham
- Dis donc Kévin (1), viens ici. Entre dans mon bureau. Dépêche-toi un peu.
- Ouais, ouais…
- Et réponds moi mieux que ça.
- Ouais m’dame….
-…madame la directrice
- Ouais madame la directrice.
- Bon. Alors tu sais que madame Lemercier (1) s’est encore plainte de toi. Il paraît que tu as poussé des cris d’animaux pendant le cours de maths, et que tu lui as fort mal répondu quand elle t’as demandé de t’arrêter. En plus elle t’as entendu quand tu es sorti ; tu as dit à Azouz : «Lemercier, c'est rien qu'une grosse vache »
- Ben c’est pas de ma faute…
- Comment ça pas de ta faute ? C’est bien toi qui as fais tout cela ?
- Ouais, mais y avait un boucan terrible dans la classe, tout le monde parlait et criait, et puis j’ai reçu une orange de la cantine que quelqu’un m’a envoyée par derrière. Alors j’ai crié, voilà. Et puis madame Lemercier elle aussi elle s’est mise à crier, elle m’a dit qu’elle allait faire un rapport sur moi, alors que j’y suis pour rien.
- Ne dis pas cela Kévin, tu es entièrement responsable, même si tu n’es pas le seul à l’être. D’ailleurs combien as-tu eu d’heures de retenues le mois dernier ?
- Six.
- Et tes parents, qu’est-ce qu’ils en disent ?
- Y disent que c’est pas normal que je sois puni tous les samedi, et que tout ça, c’est parce que les profs y sont pas capables de se faire respecter, et qu’à leur époque ça se passait pas comme ça.
- Bon, nous verrons avec eux.
Mais toi, Kévin, voilà ce qu’il faut que tu comprennes : c’est que le respect tu le dois à tes professeurs, ce n’est pas à eux de l’imposer, parce qu’ils n’ont pas à mériter qu’on soit poli et obéissant avec eux. C’est d’abord à vous les élèves de les respecter comme vous devez respecter les adultes en général.
- Ouais, mais la mère Lemercier, tout le monde dit que c’est une grosse va…
- Tais-toi Kévin !
(1) Les noms et les prénoms ont été modifiés (NDLR)

Friday, June 02, 2006

Citation du 3 juin 2006

Qui est le plus sage ? Celui qui accepte tout ou celui qui a décidé de ne rien accepter ? La résignation est-elle une sagesse ?

Eugène Ionesco - Ce formidable bordel

L’auteur du Rhinocéros nous pose une question dont on devine la réponse : seule la résistance est grande, elle seule préserve l’humain en l’homme. C’est par l’acceptation, la compréhension de notre impuissance devant un pouvoir totalitaire que l’avilissement s’insinue en nous ; c’est par l’abandon, par la certitude de l’échec, que nous perdons notre âme.

On nous dira que tout cela est très convenu, que depuis que la Tragédie a été inventée, on sait qu’on devient un héros en luttant contre ce qui ne peut que nous broyer. Mais alors que dans la Tragédie il s’agit de la mise en scène de l’incommensurable écart entre les Dieux et l’homme, chez Ionesco il s’agit de montrer que l’homme est à lui-même la pire menace ; et surtout d’expliquer comment l’homme cesse d’être un homme, comment il est dénaturé non pas seulement par la faute des autres, mais aussi par la sienne.

Ainsi, pour Ionesco, il faut sortir de la triade bourreau/victime/complice. Seule demeure l’alternative choisir l’humain/choisir l’inhumain (= devenir rhinocéros). Toutes les raisons - Toutes ! - qui mènes au second choix sont également mauvaises.

Voyez Benoît XVI : à Auschwitz il déclare : « c’est la faute d’une bande de monstrueux criminels ». On dit alors : « Voilà bien l’Allemand Ratzinger qui dédouane le peuple allemand des crimes du IIIème Reich. » Mais que nous dit Ionesco ? La monstruosité n’est pas là ; elle est dans le fait que les hommes se résignent à ce que ces crimes existent. On ne peut certes se contenter de dire « Ce sont des monstres, et on n’y peut rien ». Mais il serait aussi faux de dire : « Ceux qui n’ont rien fait sont aussi coupables que ceux qui ont fait quelque chose. » Cette mode de la responsabilité et de la repentance est stérile, parce que personne n’y croit : qui donc s’imagine écrivant à la Gestapo : « Mon voisin s’appelle Lévy ? »

La vérité est ici beaucoup plus simple, et beaucoup plus percutante : être un homme, c’est avoir la liberté de penser et de vivre selon ses valeurs ; et cela dépend de chacun. Dès que je considère qu’il est normal de priver un homme - un seul et quelqu’il soit - de ce qui fait de lui un être humain ; dès que le pouvoir m’a persuadé que je dois accepter ses ordres sans les comprendre, que je dois laisser faire ; alors je suis perdu comme homme.

Ma première victime, c’est moi-même.

Thursday, June 01, 2006

Citation du 2 juin 2006

« …chacun fuira, supportera ou chérira la solitude en proportion exacte de la valeur de son propre moi. Car c'est là que le mesquin sent toute sa mesquinerie, et le grand esprit, toute sa grandeur ; bref, chacun s'y pèse à sa vraie valeur ».

Schopenhauer - Le Monde comme volonté et comme représentation.

La grandeur de la solitude est la grandeur dans la solitude. Comment cela ?

1 - Est-ce que, comme le « Wanderer » de Friedrich, on est seul parce qu'il n'en peut être autrement, lorsqu'on contemple les horizons infinis et les insondables beautés de la nature ?


2 - Ou bien, comme le "Philosophe en méditation" de Rembrandt, faut-il attendre la vieillesse non pas au sommet de sa tour d’Ivoire, mais seul (ou presque) tapi au fond d’une caverne ?

Pourquoi faudrait-il être seul pour penser ? Le sage n’est-il en tête à tête qu’avec lui-même ?

3 - On peut certes le penser, et dire avec Valéry :

« O récompense après une pensée
Qu’un long regard sur le calme des Dieux
! ».

C’est qu’on est parvenu aux confins du langage, là où il n’y a plus qu’à se taire et contempler : on ne contemple que seul car aucune communication n’est plus possible.

4 - Seulement, voilà, Schopenhauer est très explicite : la solitude est le moyen de se chérir soi-même, c’est-à-dire que la contemplation n’a d’autre objet que soi-même.

On est donc dans une sorte de divertissement pascalien inversé : au lieu que l’orgueil nous fasse fuir le spectacle affligeant de notre bassesse, il nous fait jouir de notre propre supériorité. Les autre sont mes ennemis parce qu’ils me décentrent de moi-même, parce qu’ils ont l’insupportable prétention à vivre et à penser pour eux mêmes, au lieu de me contempler entrain de vivre et de penser.