Saturday, July 18, 2009

Citation du 19 juillet 2009

[Pour la poésie], il s’agit toujours de prendre le langage comme objet, et de triturer cet objet pour lui ajouter ou pour en extraire une signification supplémentaire.

Georges Charbonnier – Entretiens avec Claude Lévi-Strauss p. 135

Quand on essaie de parler de poésie, la difficulté est de s’entendre sur l’objet même dont on parle : la poésie, qu’est-ce que c’est ? Un ensemble de règles ou de conventions d’écriture ? Des images serties dans les textes ? L’inspiration du poète ? Ses souffrances ?

Lévi-Strauss qui n’a pas l’habitude de s’embarrasser de pensées confuses choisit de trancher dans le vif : la poésie, c’est un texte, qui produit quelque chose que la prose ne produit pas.

Il n’est pour s’en persuader que de lire – à voix haute si possible – un poème de votre choix. L’émotion que vous éprouvez alors ne saurait exister dans une autre forme de texte, ou bien, dite autrement.

Prenons garde à ne pas banaliser ce qui se passe alors : on ne saurait confondre la spécificité d’un poème avec celle d’un énoncé quelconque dont on déplore que la traduction dans une autre langue soit une tentative toujours approximative.

Le poème a pour effet d’ajouter ou d’extraire une signification supplémentaire par rapport à tout ce qui peut se dire sous une autre forme.

Mais comment fait-il pour obtenir ce résultat ? Il triture le langage qu’il considère comme un objet , c'est-à-dire comme quelque chose qu’il a devant lui, non pas un élément de son être, mais une chose qu’il est capable de transformer, un peu comme le bout de ferraille ou de bois pour le bricoleur.

Car, pour Lévi-Strauss qui a élevé le bricolage au rang de métaphore pour rendre compte de la production des mythes, nul doute : le langage, pour le poète, ce n’est pas son âme, ce n’est pas non plus un outil ni un instrument.

C’est quelque chose comme le bout d’allumette que le bricoleur glisse dans le trou trop large pour que la vis tienne correctement (1).


(1) Bien sur je l’ai fait. Bien sûr, ça tient.

2 comments:

Anonymous said...

Comme il est difficile quotidiennement de faire partager mon plaisir de connaitre celui-ci :

il dit la vérité
il dit qu'il dit la vérité
mais il ne dit jamais la vérité
pourquoi?
parce qu'il la dit avec des mots
comment voulez-vous?
comment voulez vous dire la vérité?
avec des mots?
c'est impossible
personne n'y est jamais parvenu

si je me souviens bien il s'agit d'un poème de Pierre Tillman cité dans le livre "et mon fils avec moi n'apprendra qu'a pleurer" de F. Roux.

voilà; souvent aprés coup d'une conversation qui me pose problème sur l'impression que je peux ressentir, quand je réflechis à la teneur de celle-ci, ce poème vient m'éclairer et me redire que tout n'est pas explicable ni exprimable et malgré tout d'une autre façon "expliqué" et exprimé...

Delphine

Jean-Pierre Hamel said...

« il s'agit d'un poème de Pierre Tillman »

- Un bien joli poème, qui montre tout de même que des mots il en faut, même pour signifier l’inexprimable – du moins : son existence.

« tout n'est pas explicable ni exprimable et malgré tout d'une autre façon "expliqué" et exprimé »

- C’est évidemment un vrai bonheur que d’avoir pu s’expliquer et s’exprimer sans les mots.
Le problème, c’est quand les mots nous manquent et que nous-mêmes ne nous sentons pas au clair de ce que nous avons pensé, ressenti, etc…
Il y a le langage du corps (cf post du 11 juillet dernier). Et puis il y a ces tentatives de passer pardessus les barrières du langage, comme le poète justement.
La vérité à dire avec les mots est un horizon, nous en approchons par les mots, et puis… c’est déjà ça